Quand le Plateau était mon terrain de jeux et de révoltes
Ah, le Plateau Mont-Royal, quelle époque de bonheur !
Nous n’avions rien, mais nous avions tout : on se voyait, on se parlait, on se chamaillait et on s’aimait. Je suis née sur le Plateau et j’ai été baptisée dans la paroisse Immaculée-Conception, au coin des rues Papineau et Rachel, sous la responsabilité des pères Jésuites, qui faisaient partie intégrante de notre quotidien. Le Scolasticat des Jésuites (endroit où de jeunes religieux faisaient leurs études de théologie et de philosophie) était aussi sur le terrain de la paroisse.
J’ai passé 23 ans de ma vie sur la rue Papineau, entourée par cette présence religieuse. Les jésuites étaient partout ; ils enseignaient la catéchèse dans nos écoles, étaient aumôniers du parc La Fontaine et participaient activement aux grandes étapes de notre vie : baptêmes, confirmations, mariages, confessions… Ils étaient comme une deuxième famille, veillant sur nous avec bienveillance et parfois avec une pointe d’humour.
Le Parc La Fontaine : un terrain de jeux sous surveillance divine
L’été, c’était le paradis pour les enfants. Au Parc La Fontaine, dès 8h30 du matin et jusqu’à 16h, des monitrices s’occupaient de nous. Elles inventaient des jeux, veillaient sur nous et remplissaient nos journées de rires et d’activités. Mais il y avait toujours un œil vigilant. Le père Robitaille, l’aumônier du parc, qui arrivait souvent avec une petite charrette dont je n’ai jamais compris l’utilité. Très tôt il fut remplacé par le père Marcel de la Sablonnière, ouf, tout un nom bien compliqué pour nous.
Très grand, blond et toujours prêt à plaisanter, il était impossible de ne pas le taquiner. Son nom à rallonge était un prétexte parfait pour lui inventer de nouveaux surnoms : père de la portière, père de la savonnière, père de la semaine dernière … Finalement, j’ai décidé de l’appeler « Sablon » et c’est ce surnom qui lui est resté. Il riait avec nous sans jamais se vexer. Il faisait partie des nôtres.
En quittant les monitrices, il restait du temps avant le souper, alors quelques-unes de nous allions à la bibliothèque aider le père Forget, le responsable. Madame D’Avignon son adjointe avait composé une chansonnette : « A la bibliothèque chaque jour présent, le père Forget accueille tous ses achalants …». Je ne me souviens plus du reste. C’est vrai, nous étions un peu dérangeants, mais le père Forget en riait et nous en profitions, il était comme un grand frère.
La patinoire interdite et les défis de l’hiver
L’hiver changeait tout avec la patinoire des Jésuites, réservée aux garçons. Située derrière les murs du Scolasticat, elle était interdite aux filles. Mes trois frères pouvaient en profiter avec leurs numéros fantaisistes ¾, ½ et ¼ sur leurs chandails, mais pas moi. Le célèbre Bernard Geoffrion venait souvent y patiner ; ses tirs puissants lui avaient valu le surnom « Boum Boum ».
À deux occasions, décidée de contourner cette injustice, j’ai relevé mes cheveux sous une tuque et me suis faufilée sous la grande porte de la cour. Quelle victoire ! Chaque fois, un prêtre sortait sur le balcon en criant : « Lise Corbeil, tu es excommuniée ! » Comment faisait-il pour me reconnaître ? La seconde fois je lui ai dit : « J’en ai assez d’être excommuniée », ça ne l’a pas dérangé. J’ai finalement dû accepter que la patinoire des Jésuites resterait un domaine masculin.
Heureusement, nous pouvions patiner au parc La Fontaine le jour. Cependant, comme la patinoire n’était pas éclairée le soir, nos parents nous empêchaient d’y aller après le coucher du soleil. Cela a allumé une petite flamme en moi.
La mairesse du parc et l’éclairage salvateur
Un jour d’été, les monitrices nous ont annoncé une grande nouvelle : des élections allaient avoir lieu pour élire un maire et une mairesse du parc. Enthousiaste à l’idée d’apporter un changement concret, j’ai fait campagne, à 14 ans, en promettant d’obtenir l’éclairage de la patinoire… et j’ai été élue ! Je peux encore me vanter d’être la première mairesse féminine. Ah ! Ah ! Ah !
Après avoir contacté le maire de Montréal Camilien Houde, la patinoire a finalement été éclairée. Quel triomphe !
La solidarité du quartier
Le père Gariépy, curé de la paroisse Immaculée-Conception, s’inquiétait toujours pour les jeunes qui manquaient d’espace pour se rencontrer et pratiquer des sports. L’hiver était particulièrement difficile pour les filles comme moi qui n’avaient pas accès à la patinoire des Jésuites.
Il proposa alors une campagne de financement pour construire un espace dédié aux jeunes. A sa demande, nous avons parcouru tout le quartier pour sensibiliser les paroissiens à cette cause. C’était un bel exemple de solidarité communautaire qui a marqué mon enfance
© SHP et Lise Corbeil-Robin, 2024
Très instructif. J’ai beaucoup appris. Merci de partager vos beaux souvenirs.
Je lis vos textes avec intérêt. Merci de partager vos souvenirs et merci pour votre implication à améliorer le sort des jeunes filles de notre époque. C’était un bon début.
Que de beaux souvenirs et merci pour l’éclairage de la patinoire dont j’ai souvent bénéficié.
J’aimais le fait de pouvoir patiner sur le rythme de la musique; surtout quand je réussissais à vaincre ma gêne et à demander à une fille si elle accepterait de prendre ma main et patiner avec moi; quand on finissait de patiner en se tenant par la taille, mon rêve était réalisé.