Les petites cachotteries de la «rue» Mont-Royal
Il suffit parfois d’enlever un petit bout de mur ou un recouvrement de façade pour découvrir plein de fabuleux trésors cachés. C’est aussi vrai pour certains bâtiments de l’avenue du Mont-Royal qui sont quelques fois comme de petites poupées russes, où chaque couche enlevée laisse apparaître quelque chose de surprenant.
Un des très beaux bâtiments de l’avenue se trouve à l’angle de la rue Mentana. Il a fait l’objet il y a quelques années d’une restauration qui lui a redonné beaucoup de lustre. Malheureusement, depuis quelques mois, un sévère incendie en a chassé les occupants et mis à mal son enveloppe.
Pendant de nombreuses années, ce bâtiment a logé L.C. Barbeau, une entreprise de matériaux et de fournitures électriques . Aujourd’hui, ce genre d’entreprise de service se retrouverait dans un tissu urbain plus industriel, plutôt qu’en plein milieu d’une rue commerciale très animée, dynamique et prospère. À l’époque, on n’est pas regardant et tout le monde trouve sa place sur l’avenue.
Mais la belle architecture du bâtiment cadrait de moins en moins avec la volonté de faire de l’avenue du Mont-Royal une rue commerciale moderne. Ce petit bijou sera donc longtemps caché derrière un écran métallique tout à fait banal. À la recherche d’une modernité digne d’une rue commerciale dynamique; c’était le goût du jour dans les années 1970.
La photographie nous montre le commerce Meuble Idécor inc. à l’été 1986. Auparavant, le commerce qui l’a précédé, Meuble Elle et Lui, offrait une version encore plus psychédélique. Il possédait aussi une façade métallique en tôle gaufrée, qui était parsemée sur toute sa hauteur par des lignes de tubes néon de couleur violet, ce qui jetait une lueur insoutenable dans le voisinage. Les résidents des alentours se sont plaints avec véhémence et la situation fut corrigée avec l’aide la ville.
Ces commerces de mobilier un peu tape à l’œil cherchaient à attirer la clientèle par toutes sortes de moyens. Une méthode inusitée, mais néanmoins hyper efficace pour attirer le public, consistait à hypnotiser de jolies jeunes femmes et d’installer ces belles au bois dormant dans la vitrine du magasin pour un petit moment. S’agissait-il de quelques heures ou d’une ou deux journées? Ma mémoire me fait défaut, mais je me souviens avoir ça en deux occasions. Peut-on imaginer un tel spectacle aujourd’hui?
Quoiqu’on dise, l’histoire de ce bâtiment, construit en 1913, est loin d’avoir dit son dernier mot.
L’édifice a été initialement construit par une association sportive; «L’association de la Casquette». Nous sommes à la belle époque des clubs sportifs : raquetteurs, la crosse, baseball, etc. Ces nombreux clubs se regrouperont en associations sportives dont celle de La Casquette et de plusieurs disciplines sportives entre autres celle de la boxe. Malheureusement, son règne fut de courte durée puisqu’en 1918, l’association quitte l’Avenue du Mont-Royal. 1918 est aussi la date de construction de la Palestre Nationale de la rue Cherrier. Peut-être que ceci explique cela ?
On y retrouvera même un champion de boxe des Amériques, comme sportif et par la suite comme professeur. Eugène Brosseau, un p’tit gars du Plateau né sur la rue Laval fut effectivement un sportif de très haut niveau, avant qu’un accident ne mette fin à sa carrière professionnelle.
Dans son livre, « Un boxeur gentilhomme, Eugène Brosseau » Gilles Jeanson nous raconte Le boxeur montréalais Eugène Brosseau était une véritable vedette dans les années 1915-1935. C’est l’époque du capitalisme triomphant où le libéralisme économique est roi et où le développement de nouvelles technologies permet l’apparition des loisirs de masse. Ses victoires soulevaient l’enthousiasme et déclenchaient des passions, ses formidables coups de poings symbolisaient, pour plusieurs de ses compatriotes, la force du peuple canadien-français. Un journaliste le baptisa Gentleman Gene, titre récupéré par tous les médias de l’époque. Il faut dire qu’Eugène Brosseau était un boxeur atypique. Issu d’une famille de la petite bourgeoisie, alors que la plupart des pugilistes qu’il fréquente proviennent de milieux défavorisés, il suivra pendant deux ans des cours universitaires pour devenir vétérinaire. Il lisait quotidiennement Le Devoir et admirait Henri Bourassa. Surtout, il adorait l’opéra !
Plusieurs journalistes américains nous enviaient cette jeune merveille du ring qui, en 1917, à San Francisco, triompha des meilleurs boxeurs amateurs poids moyens des États-Unis. Lorsqu’il devint professionnel au mois de janvier 1919, la majorité des commentateurs le voyaient déjà champion du monde de sa catégorie. Une mystérieuse maladie le priva toutefois du titre mondial. Après avoir accroché ses gants, il endossera le costume de professeur de boxe à la Palestre nationale et deviendra manager de boxeurs professionnels. Pendant l’espace d’une saison, il sera même le matchmaker du Canadien qui présentait des combats de boxe au Forum.
En voilà des histoires …..presqu’à dormir debout !
Attendez ! Attendez ! Ce n’est pas fini.
Quand je vous dis qu’il suffit de gratter un peu pour découvrir de nouvelles choses sur ces vieux immeubles de la «rue» Mont-Royal; Eh bien ! encore de nos jours, on fait toujours de nouvelles découvertes sur cet immeuble mystérieux ! Imaginez-vous donc que suite à l’incendie et aux travaux de rénovation j’ai vu dans l’entrée de l’immeuble des enseignes peintes sur les murs. Quelle découverte !
Mais comment expliquer ces peintures faites sur des murs intérieurs? Les photos des étages supérieurs montrent que ces publicités couvraient l’entièreté de la façade voisine. Ce n’est pas compliqué à expliquer, car une recherche dans les anciens atlas nous apprend que les bâtiments voisins sont présents depuis déjà plusieurs années avant la construction de l’édifice de La Casquette. L’extrait de l’atlas nous montre bien la situation. En fait, comme c’est la mode à cette époque, les murs aveugles des bâtiments, comme ici chez le voisin, étaient couverts de publicité. C’est bien triste de ne pas pouvoir documenter davantage cette situation. Le bâtiment voisin a été longtemps occupé par un restaurant.
Tout ça pour dire qu’un simple bâtiment peut cacher toute une histoire. C’est important de la raconter quand on la connait.
Très intéressant, un beau tour d’horizon!
Il est toujours intéressant de lire de ces histoires. Ça nous aide à comprendre la vie de chez-nous à cette époque. Ça démontre aussi la vitalité et la créativité des québécois.
Je suis né en 1955 et jusqu’en 1980 je demeurait sur la rue Chambord
Face au zoo
Wow! que c’est intéressant et divertissant. Merci beaucoup de nous avoir partagé cette belle histoire.
Comment peut-on resasser de tels souvenirs sans être imbu de patrimoine. Bravo***
André Burns
Très bel article et surtout très intéressant, merci!
Incroyable de faire un tel tour d’histoire en parlant d’un seul bâtiment. Comme toujours, Gabriel Deschambault s’est surpassé.
Très intéressant en voyant cette photo montrant une jeune femme couchée dans un lit endormie (sous hypnose) je me rappelle d’avoir vu ça au même endroit au milieu des années 60 et en parlant de « La Casquette » il y avait un Joseph Boismenu qui lui pratiquait la lutte gréco-romaine au tout début de « La Casquette ».
Je me souviens aussi avoir vu une femme hypnotisé dans la vitrine du magasin de meuble coin Mentana et rue Mont-Royal. À l’époque nous demeurions rue Gilford entre Mentana et Boyer.
Quelle découverte ces publicités murales!
Merci pour ce tour d’horizon des trésors cachés des édifices du Plateau.
Je me souviens d’ailleurs, qu’une de mes sœurs qui a loué un appartement sur la rue Marquette près de Gilford, en enlevant le prélart du salon a découvert de vieux journaux qui servaient d’isolant!
Elle les a encore et toujours en parfaite condition.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces vieux journaux? Sont-ils centrés sur le Plateau?
La SHP en a déjà quelques-uns d’archivés au centre de documentation.
Oui en faisant mes recherches sur les vieux journaux (La Presse) le 27 janvier 1915 il y avait un article concernant « La Casquette » très intéressant site des archives nationales.
Je ne me lasse pas de vous lire, c’est tellement intéressant !