Jean Narrache …au parc La Fontaine
Combien de gens se souviennent du « poète » Émile Coderre (1893-1970)? Combien se souviennent de Jean Narrache?
Il s’est fait connaître entre autres par son « écriture parlée », à une époque ou le joual était encore le « dialecte » couramment utilisé dans nos rues. Il peignait le quotidien des gens ordinaires avec des mots et une parlure qu’ils reconnaissaient bien. Très imagé, très direct et bref, son propos ne laisse pas indifférent. Dans son recueil de 1932 « Quand j’parl’ tout seul », il nous raconte une promenade au parc La Fontaine qui est tres agréable à lire. Les plus vieux y retrouveront d’anciennes images maintenant oubliées (les cheminées de chez Joubert; le petit zoo, etc.) et les plus jeunes feront connaissance avec des habitudes et d’anciennes façons de courtiser sa douce.
Cette très belle photo de 1930 nous présente le parc dans sa livrée paisible d’avant guerre et elle nous sert gentiment de décor pour apprécier et imager la lecture de notre ami Jean Narrache avec « En rodant dans l’parc Lafontaine ». Il faut faire l’effort d’en faire une lecture « phonétique », pour bien en apprécier la saveur (et ainsi devenir du même coup, un spécialiste de cette « parlure »).
Laissez-vous charmer par cette petite peinture impressionniste des lieux, des gens, des événements qui ont cours dans notre beau parc.
En rôdant dans l’parc Lafontaine
À soir, j’suis v’nu tirer un’ touche
dans l’parc Lafontain’, pour prendr’ l’air
à l’heure ousque l’soleil se couche
derrièr’ la ch’minée d’chez Joubert.
Ici, on peut rêver tranquille
d’vant l’étang, les fleurs pis l’gazon.
C’est si beau qu’on s’croit loin d’la ville
ousqu’on étouff’ dans nos maisons.
Les soirs d’été, c’est l’coin d’ombrage
pour v’nir prendr’ la fraîch’ pis s’promener,
après qu’on a sué su’ l’ouvrage,
qu’l’eau nous pissait au bout du nez.
Faut voir les gens d’la class’ moyenne,
c’-t’à dir’ d’la class’ qu’à pas l’moyen,
tous les soirs que l’bon Yieu amène,
arriver icit’ à pleins ch’mins.
Les v’là qui vienn’nt, les pèr’s, les mères,
les amoureux pis les enfants
dans l’z’allées d’érabl’s-à-giguère
qui tournaill’nt tout autour d’l’étang.
Ça vient chercher un peu d’verdure,
un peu d’air frais, un peu d’été,
un peu d’oubli qu’ la vie est dure,
un peu d’musique, un peu d’gaîté !
Les jeun’s, les vieux, les pauvr’s, les riches,
chacun promèn’ son cœur, à soir.
Y’en a mêm’, tout seuls, qui pleurnichent
su’l’banc ousqu’i’ sont v’nus s’asseoir…
Par là-bas, au pied des gros saules,
v’là un couple assis au ras l’eau ;
la fill’ frôl’ sa têt’ su’ l’épaule
d’son cavalier qu’est aux oiseaux.
À l’ombre des tall’s d’aubépines,
d’autr’s amoureux vienn’nt s’fair’ l’amour.
Vous savez ben d’quoi qu’i’ jaspinent :
Y s’promett’nt de s’aimer toujours.
Y sav’nt pas c’te chos’ surprenante,
qu’l’amour éternel, c’est, des fois,
comm’ l’ondulation permanente :
c’est rar’ quand ça dur’ plus qu’un mois.
Pour le moment, leur vie est belle ;
y jas’nt en mangeant tous les deux
des patat’s frit’s dans d’la chandelle,
en se r’gardant dans l’blanc des yeux.
Deux mots d’amour, des patat’s frites !
Y sont heureux, c’est l’paradis !
Ah ! la jeuness’, ça pass’ si vite,
pis c’est pas gai quand c’est parti !
…D’autr’s pass’nt en poussant su’ l’carosse ;
c’est des mariés d’l’été dernier.
Ça porte encor leu ling’ de noces,
qu’ça déjà un p’tit à soigner…
Par là-bas, y’en a qui défilent
devant le monument d’Dollard
qu’est mort en s’battant pour la ville.
…D’nos jours, on s’bar pour des dollars…
Tandis que j’pass’ su’ l’pont rustique
fait avec des arbr’s en ciment,
l’orchestr’ dans l’kiosque à musique
s’lanc’ dans : « Poète et Paysan ».
Oh ! la musiqu’, c’est un mystère !
On dirait qu’ça sait nous parler…
on s’sent comme heureux d’nos misères ;
ça parl’ si doux qu’on veut pleurer…
D’autr’s s’en vont voir les bêt’s sauvages,
(deux poul’s, un coq pis trois faisans.) —
Y s’arrêt’nt surtout d’vant les cages
des sing’s qui s’berc’nt en grimaçant.
Y paraîtrait qu’des savants prouvent
qu’l’homme est un sing’ perfectionné.
Mais, p’t’êtr’ ben qu’les sing’s, eux autr’s, trouvent
qu’l’homme est un sing’ qu’a mal tourné.
…Les yeux grands comm’ des piastr’s françaises,
la bouche ouverte et l’nez au vent,
Y’a un lot d’gens qui r’garde à l’aise
la fontain’ lumineus’ d’l’étang.
C’est comme un grand arbr’ de lumière,
ça monte en l’air en dorant l’soir.
C’est couleur d’or, d’rose et d’chimère :
ça r’tomb’ d’un coup, comm’ nos espoirs.
Ah ! c’est ben comm’ les espérances
qu’la vie nous fourr’ toujours dans l’cœur !
Ça mont’, ça r’tomb’ pis ça r’commence :
dans l’fond, ça chang’ rien qu’de couleur.
NARRACHE, Jean, Quand j’parl’tout seul, Montréal, Albert Lévesque, 1932.
La photo de Jean narrache provient de la BAnQ Fonds Gabriel Desmarais (Gaby)
Pour plus d’infos sur Jean Narrache, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Coderre
lisez-le vraiment à voix haute, toute la saveur du texte en ressort comme le jus dans un bon rôti.