Le 5293, rue Papineau
Ma mère souriait toujours quand elle prononçait le mot Pa-pi-neau, car la sonorité l’amusait. Il est vrai qu’il n’y avait pas beaucoup de Papineau au Manitoba, ma province natale.
J’ai habité pendant dix ans, de 1984 à 1994, le petit tronçon de la rue Papineau entre la rue Laurier, là où elle disjoncte avant de reprendre du côté est, et la rue Masson qui trouve son origine un peu plus au nord, s’étendant elle aussi, ensuite, vers l’est de la ville. Suzanne et moi avions vécu à Toronto. Ne voulant pas faire comme plusieurs de nos compatriotes qui s’établissaient dans l’anglophone Notre-Dame-de-Grâce (NDG ou Enne-Di-Dji), nous avions préféré la partie francophone de Montréal, un peu en bordure du Plateau. Notre bout de rue n’était pas le plus beau de Montréal, loin de là.
Le 5293 désignait un logement au troisième étage d’un immeuble voisin d’un concessionnaire automobile. En face, un garage faisait la location de camions.
À l’arrière, nous contemplions un espace de stationnement entre deux rangées de bâtiments qui abritaient des voitures suspectes que le frère du propriétaire revendait. Tout autour, des fonds de cour et leur charme. Au début, le bruit des voitures, des camions et des bus qui fonçaient jour et nuit sur la rue nous assourdissaient, mais à la longue, nous ne l’entendions plus. Il nous arrivait même d’inviter des visiteurs incrédules à s’asseoir avec nous sur le balcon pour une jasette. Ah! Le merveilleux spectacle qui s’offrait à nous!
Qui dit bruit évoque aussi le bruit des voisins. Ceux qui habitaient de l’autre côté des murs. Le téléphone qui sonnait, la fête anniversaire déclarée à deux heures du matin, guitares et chants latinos à l’avenant. Mais il y avait des consolations, comme ce jeune pianiste au deuxième de la partie adjacente de l’immeuble, qui me sérénadait les samedis après-midis en jouant les Gymnopédies d’Érik Satie. Il me demanda un jour, en s’excusant, s’il dérangeait. Déranger en jouant les Gymnopédies? Impensable! Je l’ai rassuré que je m’étendais alors sur le lit, ravi qu’il n’était pas amateur de Death Metal!
Le logement possédait quand même quelques attraits. Entre autres, le mur vitré, avec sa porte, qui séparait la cuisine et ce qui avait dû servir autrefois de salle à manger. Cette pièce conservait aussi ses moulures aux murs, un petit lustre et une commode murale, avec portes vitrées, reliquats de jours plus élégants. La salle de bain reste mémorable. Nous avions trouvé ses murs et plafond peints en noir. Voulant la rafraîchir, nous l’avions repeinte couleur argentée, ce qui, espérions-nous, nous permettrait de la repeindre en blanc. L’effet était tellement inusité, toutefois, que Suzanne, artiste et, moi, étudiant perpétuel, avions décidé de laisser la salle de bain dans cet état. Ceci expliquait donc cela.
Aujourd’hui, quand je passe devant le 5293, rue Papineau, j’essaie de voir, en me tordant le cou dans le bus, si quelque chose a changé, si le mur vitré y est toujours, si la salle de bain brille encore de sa peinture argentée. Oserai-je un jour sonner à la porte et demander aux locataires actuels la permission de monter voir?
Quasi trente ans plus tard?
WoW Bernard …
On aimerait tous s‘étirer le cou pour voir le lieu qui aurait servi de chambre noire à un photographe encore inconnu avant que tu en fasses un appartement d’ écrivain.
Quel texte rafraîchissant. J’ai rajeuni et rajeuni encore!
Un drone de temps comme toi seul en a la mémoire et la sensibilité…
Grand voyage! Merci pour ce grand pas dans le temps!
Que de souvenirs Bernard !
Depuis le temps qu’on dessinait ensemble au Parc Assiniboine au Manitoba dans les années 50!
Je me souviens bien de l’appartement de la rue Pa-pi-neau !
Je ne passe pas souvent devant la maison où vous restiez mais lorsque que ça s’adonne j’aime chercher, depuis l’autobus Papineau l’adresse où ne faisions de belles rencontres.
Ce qui me fait plaisir:
C’est d’entendre d’autres personnes, venues d’autres provinces, désirer s’établir dans un environnement francophone puis décrire leur expérience leur vécu dans le Plateau à leur époque.
Merci
Quelle est l’œuvre affichée à l’arrière de Pauline Morier ?
Il s’agit d’une œuvre de Suzanne Gauthier, plus précisément une encaustique sur bois.
Beau souvenir Bernard, tu sembles dubitatif quant à la qualité d’ensemble du secteur !
Tu sauras qu’un bout de rue ou une ruelle demeure toujours intéressant car c’est l’endroit où l’on est !
Ne m’en fais dire plus que ce que j’ai écrit, Gabriel.
Mon texte porte seulement sur ce qui a été mon petit bout de rue.
Sur la rue Pa-pi-neau, n’est-ce pas.
Disjonction ou baïonnette?
Notre auteur pour situer sa résidence a évoqué la disjonction de l’avenue Laurier que personnellement je désignais par la « baïonnette avenue Laurier ». Ceci étant, j’ai eu un doute et j’ai effectué une petite recherche sur Internet pour retrouver au moins un autre article qui dénommait ainsi un tronçon de boulevard voir la baïonette Saint-Saens.
Seulement je dois reconnaître que les choses ne sont pas exactement pareilles car le petit bout de tronçon entre les deux branches ne s’appelle plus « avenue Laurier » et donc disjonction reste plus approprié.
Il serait intéressant d’en savoir plus sur l’histoire sur ce fameux tronçon en forme d’éclair de la rue Laurier ?
Je sais que cette portion de la rue Laurier à l’est de la rue Papineau se nommait Saint-Eugène; personnellement, je crois que cette rue n’aurait jamais pas due être appelée Laurier car cela ne fait qu’entraîner des confusions et de la frustration. Quand on cherche par exemple l’adresse 2020 Laurier est et on se rend compte qu’on ne peut virer à gauche en venant du nord!