Le Dr Fernand Dazé, partagé entre sa bienveillance envers ses patients et sa vie de famille
Un bureau au domicile
En 1935, mon père, le docteur Fernand Dazé, élit domicile au 1824 de la rue Rachel et y installe son bureau. Il héberge temporairement un cousin. Puis il épouse ma mère, Edna Larue, le 8 juin de la même année. Un petit mariage célébré à 8h du matin, dans une chapelle attenante à l’église de l’Immaculée-Conception. Ma mère porte un tailleur bleu foncé, une orchidée à la boutonnière. Seulement les proches sont invités à la cérémonie. Sitôt après, le couple part pour Ottawa rejoindre des amis mariés le même jour à l’église Saint-Pierre-Claver.
Trois ou quatre ans plus tard, un chiot au pelage noir et blanc fait son entrée dans l’appartement, la Puce. Elle sera la gardienne et le défenseur des enfants à venir. Puis le 7 février 1940, mon frère Louis nait à la maison, de peine et de misère, s’étant présenté par le siège. Mon père m’a raconté qu’il avait fallu poser Louis sur la palette du poêle pour le réchauffer. Notre médecin de famille, le docteur Bessette (dont le bureau était sur la rue Papineau près de Gilford), mon grand-père, médecin à Ste-Agathe-des-Monts et mon père assistent ma mère dans ce long et douloureux accouchement. On est le mercredi des Cendres. Le 23 avril 1943, c’est moi, Louise, qui arrive tête première dans ce bas monde. Née un Vendredi Saint, je serai baptisée le dimanche de Pâques. La famille est complétée. Ma mère met fin à son carême.
Sur les cinq pièces de l’appartement, deux et demi sont partagées avec la clientèle de mon père : le bureau, cela va de soi, le salon qui se transforme en salle d’attente durant les heures de bureau et la chambre de bain. Et quand il y a trop de monde et que le salon déborde, on place des chaises de cuisine le long du passage, à côté du calorifère de fonte. À l’époque, il n’y a pas de prise de rendez-vous. Les patients se présentent aux heures d’ouverture, premiers arrivés, premiers servis. Il va de soi que La Puce se voit confinée dans la cuisine, porte fermée, elle qui, un jour, est allée rejoindre le postillon dans le vestibule de l’entrée en passant à travers les motifs de la porte intérieure vitrée. Il a, bien sûr, fallu remplacer la vitre.
C’est dans ce même salon, occupé par la clientèle durant la semaine que le dimanche matin, papa nous fait la lecture, à mon frère et à moi, des bandes dessinées du journal La Patrie, du Petit Journal et de La Presse. C’est là aussi qu’il écoute, le samedi, la soirée du hockey avec son bon ami, le Père Reid, jésuite, qui loge de l’autre côté de la rue.
Si mon souvenir est bon, mon père ouvre son bureau trois jours par semaine, après- midi et soir. Les autres jours, il se rend à l’Hôtel-Dieu, comme médecin des infirmières ou comme consultant à l’infirmerie des Hospitalières de Saint-Joseph. Il rend visite à ses patients hospitalisés ou encore assiste à des chirurgies parfois innovatrices. Il visite ses patients à domicile ou pratique des accouchements soit à domicile, soit dans des hôpitaux. Enfin, il agit comme consultant dans plusieurs communautés religieuses.
Le fait d’avoir le bureau à la maison offre des avantages. Papa prend ses repas avec nous et voit à notre éducation. C’est lui qui, chaque matin, prépare le déjeuner et veille à ce que nous soyons lavés, peignés et habillés pour aller à l’école. Un code relie le téléphone de la chambre de mes parents à celui du bureau en cas de besoin, qu’il s’agisse d’une sérieuse chicane d’enfants dans la ruelle ou d’une aide urgente aux devoirs. Dès qu’il est informé, mon père quitte son bureau entre deux consultations et vient d’un pas calme et assuré résoudre les différents problèmes. Pour la chicane, il écoute les accusations des deux parties et finit toujours par dire, à notre grande déception : « Essayez donc de vous entendre ! ». Pas de punition, pas de jugements mais de la conciliation! Pour l’aide au devoir, il a un jour dessiné pour moi, en l’espace de 30 secondes, un schéma du fonctionnement du cœur. Tout est soudainement devenu lumineux ! De rares fois, il est venu cogner à la porte de chambre de mon frère, chambre attenante au bureau, pour lui dire de baisser le ton de sa radio : « Baisse le son, je n’arrive pas à ausculter ! »
Pour gérer les heures de bureau, mon père peut compter sur le support d’une ou deux employées dont Gabrielle Lagloire (sœur de Pellerin Lagloire, confrère de collège), Bernadette Steingue et plus tard, Lucienne Côté. Elles assurent le ménage du bureau et du salon et répondent à la porte car la porte extérieure doit rester barrée pour éviter les intrusions malveillantes. Ma mère de son côté, diplômée infirmière, veille minutieusement à la stérilisation des instruments, des seringues et des aiguilles. Mlles Steingue et Côté, excellentes cuisinières, concoctent des desserts pour la famille. Je me souviendrai toujours, en particulier, des tartes aux pommes de Mlle Côté. Dès mon jeune âge, Gabrielle Lagloire prend en charge mon éducation et mon instruction, ma mère consacrant son temps à mon frère Louis. Mlle Lagloire, à la fois excellente pianiste et violoncelliste, prend souvent quelques minutes, après le souper, pour venir jouer des duos au piano avec moi. Cela détend mon père qui s’apprête à entamer une longue soirée de bureau. Le piano est caché derrière une draperie qui sépare le salon de la pièce de rangement qui, derrière, aurait pu servir de salle à dîner. Quelques minutes avant les heures de bureau, on remet la tenture en place et plus rien n’y paraît.
Le téléphone sonne souvent à la maison. Parfois mon père a peine à trouver un temps de répit pour les repas. Sur son ordre, je dois répondre au téléphone en disant : « Le docteur n’est pas ici présentement. Est-ce que je peux prendre le message ? » Pour ensuite devoir ajouter en entendant la personne s’identifier : « Un instant s’il vous plaît. Je vous le passe. » Car mon père avait pris soin de me dire : « Je ne suis pas là sauf si c’est Mme Unetelle. »
Visites à domicile et magasinages
Ma mère ne conduit pas la voiture. Alors il faut trouver le moyen de faire les courses en les combinant avec les visites à domicile de mon père. Ce qui donne place à plein d’événements cocasses dont les deux suivants. Un jour, alors que ma mère attend patiemment dans la voiture avec mon jeune frère assis sur le siège arrière, un livreur de lait déambule dans une voiture tirée par un cheval. Le cheval est borgne. Il ne voit pas l’automobile et butte dessus. Affolé, il se dresse et s’apprête à piétiner le capot quand son maître le retient et parvient à le maîtriser. Il y a eu plus de peur que de mal ! Une autre fois, mon père doit remplacer un médecin pour un accouchement, rue Bourbonnière. Ma mère, mon frère et moi-même attendons patiemment dans la voiture l’heure de la délivrance. Cela dure bien une bonne heure. Heureusement, ma mère a eu l’idée géniale d’apporter des jeux. Plus tard, je me retrouve en classe, au Collège Jésus-Marie avec une élève qui deviendra une grande amie, Liliane Paquin. Liliane me raconte que j’ai assisté sans le savoir à la naissance de son frère Jean, né au domicile de ses parents, rue Boubonnière, en présence de mon père ! Comme le monde est petit !
En 1935, mon père, le docteur Fernand Dazé, élit domicile au 1824 de la rue Rachel et y installe son bureau. Il héberge temporairement un cousin. Puis il épouse ma mère, Edna Larue, le 8 juin de la même année. Un petit mariage célébré à 8h du matin, dans une chapelle attenante à l’église de l’Immaculée-Conception. Ma mère porte un tailleur bleu foncé, une orchidée à la boutonnière. Seulement les proches sont invités à la cérémonie. Sitôt après, le couple part pour Ottawa rejoindre des amis mariés le même jour à l’église Saint-Pierre-Claver.
Trois ou quatre ans plus tard, un chiot au pelage noir et blanc fait son entrée dans l’appartement, la Puce. Elle sera la gardienne et le défenseur des enfants à venir. Puis le 7 février 1940, mon frère Louis nait à la maison, de peine et de misère, s’étant présenté par le siège. Mon père m’a raconté qu’il avait fallu poser Louis sur la palette du poêle pour le réchauffer. Notre médecin de famille, le docteur Bessette (dont le bureau était sur la rue Papineau près de Gilford), mon grand-père, médecin à Ste-Agathe-des-Monts et mon père assistent ma mère dans ce long et douloureux accouchement. On est le mercredi des Cendres. Le 23 avril 1943, c’est moi, Louise, qui arrive tête première dans ce bas monde. Née un Vendredi Saint, je serai baptisée le dimanche de Pâques. La famille est complétée. Ma mère met fin à son carême.
Sur les cinq pièces de l’appartement, deux et demi sont partagées avec la clientèle de mon père : le bureau, cela va de soi, le salon qui se transforme en salle d’attente durant les heures de bureau et la chambre de bain. Et quand il y a trop de monde et que le salon déborde, on place des chaises de cuisine le long du passage, à côté du calorifère de fonte. À l’époque, il n’y a pas de prise de rendez-vous. Les patients se présentent aux heures d’ouverture, premiers arrivés, premiers servis. Il va de soi que La Puce se voit confinée dans la cuisine, porte fermée, elle qui, un jour, est allée rejoindre le postillon dans le vestibule de l’entrée en passant à travers les motifs de la porte intérieure vitrée. Il a, bien sûr, fallu remplacer la vitre.
C’est dans ce même salon, occupé par la clientèle durant la semaine que le dimanche matin, papa nous fait la lecture, à mon frère et à moi, des bandes dessinées du journal La Patrie, du Petit Journal et de La Presse. C’est là aussi qu’il écoute, le samedi, la soirée du hockey avec son bon ami, le Père Reid, jésuite, qui loge de l’autre côté de la rue.
Si mon souvenir est bon, mon père ouvre son bureau trois jours par semaine, après- midi et soir. Les autres jours, il se rend à l’Hôtel-Dieu, comme médecin des infirmières ou comme consultant à l’infirmerie des Hospitalières de Saint-Joseph. Il rend visite à ses patients hospitalisés ou encore assiste à des chirurgies parfois innovatrices. Il visite ses patients à domicile ou pratique des accouchements soit à domicile, soit dans des hôpitaux. Enfin, il agit comme consultant dans plusieurs communautés religieuses.
Le fait d’avoir le bureau à la maison offre des avantages. Papa prend ses repas avec nous et voit à notre éducation. C’est lui qui, chaque matin, prépare le déjeuner et veille à ce que nous soyons lavés, peignés et habillés pour aller à l’école. Un code relie le téléphone de la chambre de mes parents à celui du bureau en cas de besoin, qu’il s’agisse d’une sérieuse chicane d’enfants dans la ruelle ou d’une aide urgente aux devoirs. Dès qu’il est informé, mon père quitte son bureau entre deux consultations et vient d’un pas calme et assuré résoudre les différents problèmes. Pour la chicane, il écoute les accusations des deux parties et finit toujours par dire, à notre grande déception : « Essayez donc de vous entendre ! ». Pas de punition, pas de jugements mais de la conciliation! Pour l’aide au devoir, il a un jour dessiné pour moi, en l’espace de 30 secondes, un schéma du fonctionnement du cœur. Tout est soudainement devenu lumineux ! De rares fois, il est venu cogner à la porte de chambre de mon frère, chambre attenante au bureau, pour lui dire de baisser le ton de sa radio : « Baisse le son, je n’arrive pas à ausculter ! »
Pour gérer les heures de bureau, mon père peut compter sur le support d’une ou deux employées dont Gabrielle Lagloire (sœur de Pellerin Lagloire, confrère de collège), Bernadette Steingue et plus tard, Lucienne Côté. Elles assurent le ménage du bureau et du salon et répondent à la porte car la porte extérieure doit rester barrée pour éviter les intrusions malveillantes. Ma mère de son côté, diplômée infirmière, veille minutieusement à la stérilisation des instruments, des seringues et des aiguilles. Mlles Steingue et Côté, excellentes cuisinières, concoctent des desserts pour la famille. Je me souviendrai toujours, en particulier, des tartes aux pommes de Mlle Côté. Dès mon jeune âge, Gabrielle Lagloire prend en charge mon éducation et mon instruction, ma mère consacrant son temps à mon frère Louis. Mlle Lagloire, à la fois excellente pianiste et violoncelliste, prend souvent quelques minutes, après le souper, pour venir jouer des duos au piano avec moi. Cela détend mon père qui s’apprête à entamer une longue soirée de bureau. Le piano est caché derrière une draperie qui sépare le salon de la pièce de rangement qui, derrière, aurait pu servir de salle à dîner. Quelques minutes avant les heures de bureau, on remet la tenture en place et plus rien n’y paraît.
Le téléphone sonne souvent à la maison. Parfois mon père a peine à trouver un temps de répit pour les repas. Sur son ordre, je dois répondre au téléphone en disant : « Le docteur n’est pas ici présentement. Est-ce que je peux prendre le message ? » Pour ensuite devoir ajouter en entendant la personne s’identifier : « Un instant s’il vous plaît. Je vous le passe. » Car mon père avait pris soin de me dire : « Je ne suis pas là sauf si c’est Mme Unetelle. »
Visites à domicile et magasinages
Ma mère ne conduit pas la voiture. Alors il faut trouver le moyen de faire les courses en les combinant avec les visites à domicile de mon père. Ce qui donne place à plein d’événements cocasses dont les deux suivants. Un jour, alors que ma mère attend patiemment dans la voiture avec mon jeune frère assis sur le siège arrière, un livreur de lait déambule dans une voiture tirée par un cheval. Le cheval est borgne. Il ne voit pas l’automobile et butte dessus. Affolé, il se dresse et s’apprête à piétiner le capot quand son maître le retient et parvient à le maîtriser. Il y a eu plus de peur que de mal ! Une autre fois, mon père doit remplacer un médecin pour un accouchement, rue Bourbonnière. Ma mère, mon frère et moi-même attendons patiemment dans la voiture l’heure de la délivrance. Cela dure bien une bonne heure. Heureusement, ma mère a eu l’idée géniale d’apporter des jeux. Plus tard, je me retrouve en classe, au Collège Jésus-Marie avec une élève qui deviendra une grande amie, Liliane Paquin. Liliane me raconte que j’ai assisté sans le savoir à la naissance de son frère Jean, né au domicile de ses parents, rue Boubonnière, en présence de mon père ! Comme le monde est petit !
À suivre
© SHP et Louise Dazé, 2023,
Photos Louise Dazé.
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Louise, quel hasard pour que je tombe sur ce blogue récent hyper intéressant.
J’adore la photo de toi avec ma tante Gabrielle.
Bravo pour ce blogue.
Bonjour Lydia.
Heureuse de reprendre contact avec toi.
Ta tante a été tellement importante pour moi !
Merci Mme Dazé.
J’aime votre style d’écriture et il est captivant de connaître l’enfance d’une petite fille de médecin sur le Plateau.
Très intéressant, merci!
Ma mère me répéta souvent que j’étais né chez ma grand-mère maternelle, Juliette Prieur, au 4618 Fabre. Je me suis toujours demandé quel médecin avait accouché ma mère quand j’ai entendu parler du Dr Dazé je me suis dit peut-être que ce serait peut-être lui ? ou bien le Dr Bessette mais pour cela il faudrait pourvoir compulser des archives?
M. Boismenu,
Je garde le nom de votre mère en réserve. Si jamais je trouve la réponse à votre question, je vous en informe.
Le Dr Dazé fut notre médecin de famille préféré…
Souvenons nous, il était dénommé le » médecin des pauvres «
Dans son bulletin de l’été 2009, la SHP a consacré sa page de couverture au docteur Fernand Dazé avec deux articles en pages 2 et3 relatant l’énorme travail accompli dans son exercice médical.