Jeux de filles sur le Plateau
Pour employer un langage moderne, dans les années cinquante à Montréal, les écoles étaient genrées. Les filles avec les filles et les garçons avec les garçons. Nos jeux subissaient le même sort sauf pour certaines activités ludiques mixtes comme le cache-cache, le « branch et branch », la tague ou divers jeux de ballons. Puis les garçons se défoulaient au hockey l’hiver, à la balle molle l’été ou se prenaient pour des cow-boys, tandis que les filles s’occupaient autrement.
Sur les larges trottoirs du Plateau, il subsistait fréquemment les contours à moitié effacés d’un dessin de marelle. Nous voulions toutes aller au ciel et en revenir. Au début, nous utilisions une petite roche bien plate pour atteindre les cibles, mais ce n’était pas l’idéal. Après le lancer, le projectile faisait souvent des bonds non souhaités et manquait l’objectif. Nous avons ensuite troqué les roches pour de gros boutons volés dans les articles de couture de nos mères. C’était mieux, mais pas parfait. Puis un jour, miracle ! On a découvert qu’une chaînette, comme celle qui rassemblait les clés, restait stable sur le numéro après le jet. Encore là, on dévalisait les hangars et les cuisines pour trouver des attaches qui retenaient des tasses à mesurer, des clés à molette ou des queues de lapin. Il arrivait qu’on sectionne une chaînette pour en offrir un petit bout à une fillette qui n’en avait pas. Quand même, nous étions généreuses !
Parlons de la corde à danser ! Comme le répète la chanson : « J’ai tant dansé, j’ai tant sauté… » que j’en ai eu souvent mal au ventre. On pouvait sauter seule avec une corde individuelle. J’aimais beaucoup faire des deux dans un, c’est-à-dire, bondir très haut et faire passer rapidement la corde deux fois en dessous des pieds. Si on était deux, on fixait une plus longue corde à un poteau. Une manipulait la corde pendant que sa compagne s’élançait et on interchangeait les rôles.
Le plus souvent, on dansait en groupe en relayant les « tourneuses ». On entrait à l’endroit ou à l’envers dans la corde, on sautait une ou plusieurs fois en récitant des comptines disparues de ma mémoire. L’audace nous amenait à actionner deux cordes en même temps, l’une en sens contraire de l’autre, nécessitant les deux mains des tourneuses. On entrait dans ce tournis contournant la première corde puis la deuxième. Nous étions quand même très habiles !
Les billes captaient aussi notre attention. L’été dans la terre et l’hiver dans la neige, on creusait un trou d’environ douze centimètres. Sur les genoux ou accroupis, avec l’index courbé, on poussait une bille pour l’envoyer dans la cavité d’un seul coup. Comme au golf, si on ne réussissait pas, on perdait des points à chaque tentative. À la fin, la gagnante ramassait toutes les billes. C’était difficile de laisser aller ces petites merveilles bariolées et translucides. Nous espérions vite une autre partie pour les récupérer. Quelquefois, magnanimes, nous nous les remettions. À l’instar de plusieurs de mes partenaires, je conservais ces trésors dans un sac violet ayant contenu une bouteille de whisky Crown Royal. Le tissu très doux les protégeait.
Et puis l’épopée des patins à roulettes ! Il s’agissait d’une espèce d’armature en forme de semelle et munie de quatre roulettes qu’on plaçait sous le soulier. Elle s’ajustait en longueur et en largeur de sorte que le patin pouvait durer plusieurs années et suivre notre croissance. De chaque côté, à l’avant, une attache se resserrait pour retenir la chaussure, et à l’arrière, une sangle maintenait le pied sur la base. Aucun frein sur l’appareil, alors on arrêtait comme on pouvait, souvent en se lançant sur un poteau ou une clôture pour terminer la course. Les patins étaient bruyants et lourds à porter, mais qu’importe, nous aimions glisser sur les trottoirs, cheveux au vent. On était loin des jolies bottines blanches des patins à roulettes modernes avec un frein à l’avant.
Je me souviens d’un jeu de ballon en particulier. Les participantes s’alignaient à plusieurs mètres d’un mur. La meneuse se positionnait face à elles, dos au mur, à une distance respectable. Elle lançait le ballon à une première concurrente et selon la réception, celle-ci était gratifiée d’un nombre de pas vers l’objectif. Par exemple, trois pas de géant, des grands pas, cinq pas de grenouille, faits en sautant, quatre pas de parasol, accomplis en tournant sur soi-même à chaque déplacement et quelques autres oubliés. Si par malheur, on échappait le ballon, on était puni par des pas de souris minuscules. Celle qui atteignait le mur en premier gagnait.
Vous comprendrez que ce jeu complètement aléatoire et subjectif dépendait de l’humeur de la lanceuse et de ses préférences. En fait l’amusement consistait à exécuter le mieux possible les différentes figures sans susciter les moqueries. Au milieu du jeu, nous étions toutes à différentes distances du mur et comme vous vous en doutez, certaines trichaient et avançaient à l’abri des regards.
Dans la cour d’école, en plus de la corde à danser, on s’adonnait au ballon chasseur. Les religieuses prisaient ce sport, car, comme elles répétaient : « L’oisiveté est la mère de tous les vices. » Je détestais ce jeu parce que j’avais reçu une fois le ballon si brutalement que j’ai eu très mal. À partir de ce moment, je m’arrangeais pour être éliminée au début et m’en aller tranquille, pour le reste de la partie, derrière la ligne de l’adversaire.
Je ne peux relater des randonnées et des aventures à bicyclette parce que ma mère affirmait que c’était trop dangereux en ville, donc j’en ai été privée, mais pas mon frère. Autres temps, autres mœurs !
Sans grands moyens, sur des trottoirs asphaltés ou des cours en terre battue, sous l’œil indulgent des passants ou des voisins sur leurs balcons, nous nous amusions comme des enfants.
Sur les larges trottoirs du Plateau, il subsistait fréquemment les contours à moitié effacés d’un dessin de marelle. Nous voulions toutes aller au ciel et en revenir. Au début, nous utilisions une petite roche bien plate pour atteindre les cibles, mais ce n’était pas l’idéal. Après le lancer, le projectile faisait souvent des bonds non souhaités et manquait l’objectif. Nous avons ensuite troqué les roches pour de gros boutons volés dans les articles de couture de nos mères. C’était mieux, mais pas parfait. Puis un jour, miracle ! On a découvert qu’une chaînette, comme celle qui rassemblait les clés, restait stable sur le numéro après le jet. Encore là, on dévalisait les hangars et les cuisines pour trouver des attaches qui retenaient des tasses à mesurer, des clés à molette ou des queues de lapin. Il arrivait qu’on sectionne une chaînette pour en offrir un petit bout à une fillette qui n’en avait pas. Quand même, nous étions généreuses !
Parlons de la corde à danser ! Comme le répète la chanson : « J’ai tant dansé, j’ai tant sauté… » que j’en ai eu souvent mal au ventre. On pouvait sauter seule avec une corde individuelle. J’aimais beaucoup faire des deux dans un, c’est-à-dire, bondir très haut et faire passer rapidement la corde deux fois en dessous des pieds. Si on était deux, on fixait une plus longue corde à un poteau. Une manipulait la corde pendant que sa compagne s’élançait et on interchangeait les rôles.
Le plus souvent, on dansait en groupe en relayant les « tourneuses ». On entrait à l’endroit ou à l’envers dans la corde, on sautait une ou plusieurs fois en récitant des comptines disparues de ma mémoire. L’audace nous amenait à actionner deux cordes en même temps, l’une en sens contraire de l’autre, nécessitant les deux mains des tourneuses. On entrait dans ce tournis contournant la première corde puis la deuxième. Nous étions quand même très habiles !
Les billes captaient aussi notre attention. L’été dans la terre et l’hiver dans la neige, on creusait un trou d’environ douze centimètres. Sur les genoux ou accroupis, avec l’index courbé, on poussait une bille pour l’envoyer dans la cavité d’un seul coup. Comme au golf, si on ne réussissait pas, on perdait des points à chaque tentative. À la fin, la gagnante ramassait toutes les billes. C’était difficile de laisser aller ces petites merveilles bariolées et translucides. Nous espérions vite une autre partie pour les récupérer. Quelquefois, magnanimes, nous nous les remettions. À l’instar de plusieurs de mes partenaires, je conservais ces trésors dans un sac violet ayant contenu une bouteille de whisky Crown Royal. Le tissu très doux les protégeait.
Et puis l’épopée des patins à roulettes ! Il s’agissait d’une espèce d’armature en forme de semelle et munie de quatre roulettes qu’on plaçait sous le soulier. Elle s’ajustait en longueur et en largeur de sorte que le patin pouvait durer plusieurs années et suivre notre croissance. De chaque côté, à l’avant, une attache se resserrait pour retenir la chaussure, et à l’arrière, une sangle maintenait le pied sur la base. Aucun frein sur l’appareil, alors on arrêtait comme on pouvait, souvent en se lançant sur un poteau ou une clôture pour terminer la course. Les patins étaient bruyants et lourds à porter, mais qu’importe, nous aimions glisser sur les trottoirs, cheveux au vent. On était loin des jolies bottines blanches des patins à roulettes modernes avec un frein à l’avant.
Je me souviens d’un jeu de ballon en particulier. Les participantes s’alignaient à plusieurs mètres d’un mur. La meneuse se positionnait face à elles, dos au mur, à une distance respectable. Elle lançait le ballon à une première concurrente et selon la réception, celle-ci était gratifiée d’un nombre de pas vers l’objectif. Par exemple, trois pas de géant, des grands pas, cinq pas de grenouille, faits en sautant, quatre pas de parasol, accomplis en tournant sur soi-même à chaque déplacement et quelques autres oubliés. Si par malheur, on échappait le ballon, on était puni par des pas de souris minuscules. Celle qui atteignait le mur en premier gagnait.
Vous comprendrez que ce jeu complètement aléatoire et subjectif dépendait de l’humeur de la lanceuse et de ses préférences. En fait l’amusement consistait à exécuter le mieux possible les différentes figures sans susciter les moqueries. Au milieu du jeu, nous étions toutes à différentes distances du mur et comme vous vous en doutez, certaines trichaient et avançaient à l’abri des regards.
Dans la cour d’école, en plus de la corde à danser, on s’adonnait au ballon chasseur. Les religieuses prisaient ce sport, car, comme elles répétaient : « L’oisiveté est la mère de tous les vices. » Je détestais ce jeu parce que j’avais reçu une fois le ballon si brutalement que j’ai eu très mal. À partir de ce moment, je m’arrangeais pour être éliminée au début et m’en aller tranquille, pour le reste de la partie, derrière la ligne de l’adversaire.
Je ne peux relater des randonnées et des aventures à bicyclette parce que ma mère affirmait que c’était trop dangereux en ville, donc j’en ai été privée, mais pas mon frère. Autres temps, autres mœurs !
Sans grands moyens, sur des trottoirs asphaltés ou des cours en terre battue, sous l’œil indulgent des passants ou des voisins sur leurs balcons, nous nous amusions comme des enfants.
© SHP et Michèle Olivier, 2024
Photos Michèle Olivier.
Index des capsules de mémoire de Michèle Olivier
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Bravo encore une fois pour ton texte Maman !
J’apprécie beaucoup de connaître tes souvenirs d’enfance !
Pour enrichir ma culture québécoise peut-on me dire ce que sont le « branch et branch » et la tague.
D’avance merci.
Le branch et branch est un jeu de cache-cache mais qui se joue en équipe avec des stratégies. La tague commence avec un joueur volontaire qui doit aller toucher un autre joueur. Celui qui est touché doit à son tour aller toucher un autre joueur. C’était très cardio parce qu’on courait vite pour ne pas se faire attraper.
Voilà! J’espère que c’est plus clair.
Que de souvenirs en effet!! Les jeunes générations ne connaîtront jamais tout le plaisir que nous avions à jouer avec les amis (es) et à inventer aussi de nouveaux jeux et nous jouions DEHORS !!
Le patin à roulettes, j’en ai fait et c’était mon activité préférée! Merci de nous rappeler notre belle jeunesse d’antan !
SUPERBE ! Michèle,
Ces histoires font renaître tant de souvenirs !