Mes souvenirs du Patro 6/6
Les années hockey
L’hiver, le hockey régnait en roi et maître ; dans les cours d’école, les ruelles, la rue, les journaux, les conversations, partout. Spécialement au Patro. C’était le seul et unique sport au programme. Pratiqué en vase clos, à l’intérieur de ligues internes, sur deux patinoires extérieures, sans instructeurs, c’était un peu beaucoup la transposition sur glace de nos jeux dans la cour d’école : pas de stratégies, pas d’entraînement, pas de système de jeu, bref, pas loin de l’anarchie sur glace. Jusqu’à l’arrivée de Robert, mon beau-frère…
Le mari de ma soeur adorait le hockey. Il faisait lui-même partie d’une ligue dont j’ai été, pendant un temps, le chronométreur et l’annonceur officiel. De fil en aiguille, il s’était mis en tête, va savoir pourquoi, de devenir entraîneur. Je me souviens de ses premières timides démarches auprès du frère Guilbert, alors responsable de notre section. Ce fut pour le moins ardu.
L’idée de départ était de former une équipe d’élite, regroupant les meilleurs éléments midget de la section, et de l’inscrire dans une ligue montréalaise dûment constituée. La direction du Patro y opposa une fin de non-recevoir catégorique. Elle y voyait une menace d’affaiblissement de ses propres structures (conflit d’horaire avec son propre calendrier, par exemple), une brèche dans sa vocation de participation de masse sans compter une source potentielle de conflits internes, les membres de l’élite et ceux de la masse ne faisant pas toujours bon ménage.
Bien que déçu de la tournure des événements, Robert ne s’avoua pas vaincu pour autant. Il revint à la charge avec un projet quelque peu modifié : on formerait toujours une équipe inter, mais elle disputerait une série de parties hors-concours contre toutes les équipes externes qu’il serait possible de convaincre de nous affronter, incluant les équipes de la ville, d’autres centre de loisir municipaux, des orphelinats et bien sûr d’autres Patro. On s’arrangerait pour que ces activités ne nuisent pas au calendrier régulier. Pour ce qui est de l’argument des tensions entre les meilleurs et les moins bons, il fut balayé du revers de la main par l’existence actuelle d’équipes de ce genre au basket-ball.
Après moult hésitations, on lui donna finalement le feu vert. Le camp de sélection pouvait s’ouvrir. J’étais à la fois heureux et anxieux d’y participer. J’étais un joueur respectable, sans plus. Comme au basket, je m’attendais à faire l’équipe mais à y jouer plutôt un rôle de réserviste, selon ma propre évaluation. D’ailleurs question évaluation, Robert me mit tout de suite en garde : ce n’était pas parce que j’étais son beau-frère que j’allais automatiquement faire l’équipe ! En clair, cela voulait dire que non seulement il n’y aurait pas de favoritisme, mais que je devrais même en donner un peu plus pour que tout le monde soit certain qu’il n’y en avait pas !
Heureusement, tout se déroula sans problèmes et je fus sélectionné. Mais contrairement au basket, il n’y avait pas vraiment de réserviste dans l’équipe. Cela aurait été carrément de la cruauté, étant donné que nous disputions la majorité de nos matchs sur des patinoires extérieures par des froids souvent sibériens. Imaginez un joueur se les geler sur le bord de la bande, par moins 20, pendant trois périodes ! Nous étions donc tous plus ou moins réguliers.
Nous pratiquions le samedi matin. Il y avait beaucoup de travail à faire. Énormément de travail ! Nous n’étions au départ qu’une bande de poules pas de tête. Il fallait nous mettre en forme, nous donner un système de jeu et former une équipe avec des joueurs qui étaient plus souvent qu’autrement habitués à jouer en égoïstes. Le coach avait réussi à mettre la main sur des films, commandités par les céréales Weetabix, démontrant les bases du jeu. C’est par là qu’il fallait commencer. Je me souviens de la tête de frère Guilbert lorsque dans un de ces films, on nous enseignait la base du jeu défensif : arrêter l’homme d’abord, s’occuper de la rondelle ensuite. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cela allait à l’encontre de la philosophie de jeu qui prévalait jusque-là ! Nous sortions ensuite sur la patinoire pour de longues séances de patinage, avant, arrière, sans lever la lame de la glace, des exercices de freinage de bande à bande, etc. Épuisés, on passait alors aux situations de jeu, à deux contre un, un contre un, trois contre deux, etc. Quelques semaines de ce régime et nous commencions à ressembler à une équipe. Il était temps de se mesurer à l’adversaire.
Notre toute première partie fut disputée dans notre cour, littéralement, contre une équipe de Québec. Nous venions tout juste de recevoir nos nouveaux uniformes jaunes et noirs, les mêmes couleurs que celles du basket-ball, et nous en étions très fiers. De notre jeu, par contre, nous le fûmes beaucoup moins. Un vrai désastre ! On dirait que nous avions tous oublié ce que nous avions durement appris pendant les semaines précédentes. Aucune cohésion, efforts individuels vains, passes molles, rien, mais absolument rien ne fonctionnait. Après deux périodes, nous tirions de l’arrière par six ou sept buts. Le coach n’était pas loin de la panique. Les autres ne s’en apercevaient peut-être pas, mais moi je le connaissais bien. Il avait tellement travaillé pour mettre cette équipe sur pied, convaincu tellement de monde du bienfait et des retombées positives d’être représenté par elle… Se faire battre de cette façon fichait pas mal en l’air toutes les belles théories du prestige qui y étaient associée. Il fallait faire quelque chose et vite.
Dans le petite garde-robe qui nous servait de vestiaire, Robert nous a réunis après la deuxième période. Nous avions le caquet plutôt bas. Il n’était plus question ici que de limiter les dégâts. En clair, raffermir la défensive. C’est alors qu’avec mon accord, il prit une décision qui changea dramatiquement le cours de ma carrière de hockeyeur : d’attaquant, je fus muté au poste de défenseur. Advienne que pourra.
Il s’avéra que ce changement fut des plus bénéfiques, à la fois pour l’équipe et pour moi. D’abord l’adversaire ne marqua plus un seul but du reste de la partie. De mon côté, je prenais un réel plaisir à dévier les rondelles, frapper l’adversaire et relancer l’attaque. Je ne suis plus jamais retourné jouer à l’avant. J’étais devenu le pilier de notre défensive, c’est le coach qui me l’avoua lui-même un peu plus tard. Pourtant, je ne possédais aucune habileté vraiment particulière. J’avais un coup de patin bien moyen et un lancer assez faible, quoique toujours gardé bas et décoché sans avertissement grâce à une demi-frappe surprenante. Ce qui me distinguait en fait, c’était ma vision de l’action ainsi qu’un jeu de position impeccable. Je ne me débarrassais de la rondelle que très rarement et mes passes étaient précises. J’avais aussi développé un petit coup de poignet qui me permettait de soulever légèrement la rondelle au-dessus des bâtons adverses, juste assez pour qu’elle retombe doucement sur la glace, passée l’obstacle, directement sur le hockey de mon coéquipier. C’est donc une série de petites habiletés qui m’avaient rendu indispensable à l’équipe. Mais pas assez cependant pour en devenir le capitaine.
Un samedi matin, au terme d’une élection tenue au sous-sol du Patro, là où nous visionnions les films de hockey, Yvon Couturier fut nommé capitaine de l’équipe. Le coach avait tenu à ce que nous en décidions nous-mêmes. J’étais le seul autre candidat, proposé par Jacques Trépanier, un de nos deux gardiens de but et mon grand chum. Cela m’a fait un petit pincement au coeur, habitué comme je l’étais à toujours être le premier, le meilleur ou le président de ceci ou cela, mais c’était correct. Je ne l’ai pas mal pris. Il était de toutes façons très rare qu’un défenseur, dans quelque sport que ce soit, obtienne ce titre. Bobby Orr en a été l’exception la plus notable. J’ai quand même obtenu un prix de consolation lorsque le coach, qui s’était réservé le privilège de nommer lui-même les assistants, me remis un beau A, à coudre sur mon chandail. C’est donc en arborant fièrement ce nouvel insigne que je sautai sur la glace pour notre deuxième affrontement.
Le fait de former une équipe inter midget avait tout naturellement incité la direction à faire de même pour la catégorie bantam. Il était alors dans l’ordre des choses que pour compléter notre préparation, nous affrontions cette autre équipe, histoire de rebâtir notre confiance. Nous envisagions cette partie avec optimisme et même un brin d’arrogance. Erreur.
Dès les premières minutes, nous avons clairement senti que ce ne serait pas facile. Débordant de confiance, nous étions vite retombés dans nos vilaines habitudes. J’ai même fait un vrai fou de moi en voulant décocher rapidement un lancer de la pointe, passant complètement dans le beurre, sous les rires et les sarcasmes de mes adversaires. Nous avions fini par gagner de peine et de misère mais nous avions eu chaud et en avions surtout tiré les leçons qui s’imposaient. Je pense que c’est précisément à partir de ce moment que nous avons commencé à réellement former une équipe. À se serrer les coudes et à vraiment compter les uns sur les autres. Pas juste à vouloir le faire dans le but adverse…
Nous avions une partie à jouer presque à chaque semaine. Quelquefois même dans des arénas, chose toute nouvelle et passablement excitante pour nous. À cause du peu de disponibilité des amphithéâtres, nous jouions ces parties très tôt le matin. Tellement qu’il arrivait, pour être sûrs d’y être et d’éviter de se lever à trois heures du matin pour aller chercher tout le monde, que quelques joueurs dorment chez Robert la veille du match. Avec la pizza en prime ! Ces parties étaient les plus difficiles car disputées contre des adversaires aguerris, sur leur propre terrain. On ne les gagnait pas souvent mais on tenait bien notre bout. Tellement que le mot avait circulé en ville que le Patro avait une bonne petite équipe et qu’on ne devait pas les prendre à la légère. Conseil très bien suivi par les élites de Montréal-Nord que nous avons affrontés un beau samedi matin.
Quand nous avons vu l’équipe de gorilles d’en face sauter sur la patinoire, notre sang n’a fait qu’un tour. Pour nous affronter, ils avaient réuni une équipe d’étoiles ! Nous n’étions qu’une bonne petite équipe de calibre B ! Le coach nous a alors réunis pour nous dire de ne pas trop s’en faire avec le résultat et de donner le meilleur de nous-mêmes. Ce qui ne nous a pas empêché de se faire laver onze ou douze à un ! Nous avons appris par la suite que quelques-uns d’entre eux avaient été invité à des camps professionnels et qu’un certain Péloffy avait même joué pro en Europe. Pas étonnant que je n’ai pu l’arrêter qu’une seule fois ! Et encore, uniquement parce qu’on s’y était mis à deux, Daniel Hubert et moi, qui formions pourtant la meilleure paire de défenseurs de l’équipe ! Heureusement, la plupart de parties étaient beaucoup plus équilibrées.
Que ce soit contre le centre Saint-Denis, les loisirs Saint-Édouard, le comité des jeunes de Rosemont ou encore l’orphelinat Saint-Arsène, nous gagnions toujours notre part de matchs, à moins de se faire voler par l’arbitre local, ce qui fut particulièrement flagrant lors d’une partie contre Saint-Arsène, chez eux.
Première surprise en foulant la glace, les buts ne possèdent pas de filets ! Plutôt difficile de juger de la validité d’un point dans les circonstances. Ce qui devait arriver arriva donc ; nous perdîmes sur un but contesté qui, selon le père de Robert, M. Auger, posté tout près, la rondelle n’avait jamais pénétré dans le filet (façon de parler puisqu’il n’y en avait pas, matériellement parlant). Je n’avais jamais vu M. Auger aussi fâché. Il était même descendu sur la glace pour enguirlander l’arbitre et lui faire voir la trace de la rondelle, tout juste à l’extérieur du poteau. Peine perdue.
De retour au Patro, nous avions dénoncé cette injustice en dessinant toute la scène sur le tableau au-dessus de la porte et illustrant, diagramme à l’appui, la trajectoire présumée de la rondelle. Ce dessin est resté là jusqu’au match retour, la semaine suivante, à domicile cette fois. Nous avions donc eu toute la semaine pour nous pomper et préparer notre revanche. Ils en ont mangé toute une, je vous prie de me croire. J’ai même marqué mon premier but. Mon père, qui était présent, m’avait promis un paquet de cigarettes si j’en réussissais un. Sous l’oeil réprobateur du coach et des frères, il dû s’exécuter et j’en fumai quelques-unes à sa santé…
Il arrivait assez fréquemment que des membres de ma famille ou de celle de Robert assistent à nos parties ; ou même nous accompagnent en voyage. Mon plus beau souvenir de cela demeure cette virée que nous avions fait à Québec afin d’affronter les équipes des autres Patros.
Nous étions partis pour toute une fin de semaine afin de disputer trois parties hors-concours aux patros de Rocamadour, St-Vincent et Lévis. Deux le samedi, en après-midi et en soirée, et une le dimanche. Mon père nous accompagnait. Nous avions perdu la première et comme l’honneur de Montréal était en jeu, il n’était pas question de subir une autre défaite.
En arrivant près du lieu de notre deuxième rencontre, nous fûmes passablement surpris de se retrouver tout près du vieux Québec. Nous avions bien une adresse, mais il nous semblait impossible qu’un de ces vieux immeubles abrite un centre de loisirs. Les rues étaient tellement étroites… Les portes d’entrée donnaient directement sur les trottoirs, sans aucune cour ou espace libre sur le devant… Il devait y avoir une erreur…
Et pourtant non ! Après quelques minutes de recherches, on vient nous avertir que nous sommes bel et bien arrivés. En entrant dans cette maison encastrée entre deux commerces, on se demande où peut bien se trouver la patinoire ? Un peu plus loin ? À quelques rues ? On nous invite à passer vers l’arrière. Incroyable ! Nous découvrons alors une vaste cour intérieure qui abrite une vraie patinoire de hockey ! En fait, elle couvre pratiquement toute la surface de la cour. Elle nous semble légèrement plus petite que la normale mais bon, c’est un détail. Nous allons pouvoir jouer !
Dans le vestiaire, ou ce qui en tient lieu, la tension est palpable. Nous devons absolument gagner. Pas question de revenir à Montréal avec une fiche inférieure à .500. La partie est difficile, l’adversaire coriace. L’éclairage quelque peu déficient complique encore plus les choses. Qu’importe, on donne tout ce qu’on a. Vers la fin, nous menons par un but et il faut préserver cette avance. Au diable les belles théories de participation, Robert fait jouer ses meilleurs éléments. Il nous l’a rappelé à l’entracte : il ne veut pas de nul. Tout ce qui l’intéresse, c’est la victoire. Plus la partie avance, plus je joue souvent. À chaque fois que je sors reprendre mon souffle, il me demande de l’avertir quand je serai prêt à retourner dans le feu de l’action.
Il ne reste maintenant que quelques minutes. Nous sommes toujours en avance d’un but. J’ai possession de la rondelle dans le fond de mon territoire. D’un coup d’oeil, je m’aperçois que personne n’est libre pour recevoir une passe. L’autre équipe a enlevé son gardien et accentue sa pression sur le porteur du disque. Un ailier s’amène en trombe sur moi. Je dois prendre une décision immédiate. Je n’ai pas vraiment le choix. Je dois dégager. Mais en même temps, éviter que ce soit un dégagement refusé afin de ne pas subir de mise au jeu dans notre zone. Je soulève le disque à la Jean-Claude Tremblay, c’est-à-dire très haut dans les airs en direction du but adverse, déserté. Il ne faut pas que le caoutchouc traverse la ligne des buts, il ne faut pas…. Ouf ! Il s’arrête à quelques pouces du but et de la ligne fatidique.
Roussel, un de nos meilleurs attaquants, un gars très rapide qui a aussi l’habitude de ‘’seiner’’ régulièrement près de la ligne rouge, arrive au disque bien avant les défenseurs ennemis, mais il sait que s’il y touche il sera déclaré hors-jeu, ayant franchi deux lignes bien avant elle. Il reste donc là, le bâton au-dessus, n’osant pas même l’effleurer, l’arbitre à côté de lui, le bras levé. La scène est presque surréaliste. Mais nous gagnons du temps et c’est tout ce qui compte. Un adversaire arrive enfin. Il fait mine de prendre possession de la chose, mais c’est une ruse. Roussel mord à la feinte et lui touche en premier. Coup de sifflet ! Mise au jeu dans notre territoire avec quelques secondes à faire.
Le coach demande un temps d’arrêt. À la fois pour nous reposer et pour parler stratégie. Elle est très simple : sortir la rondelle de notre territoire à tout prix. L’arbitre siffle de nouveau. Tout le monde se repositionne. L’adrénaline coule à flots, d’un côté comme de l’autre. À la reprise du jeu, surprise ! Au lieu d’essayer de remettre le disque vers l’arrière, notre joueur de centre frappe le plus fort possible pour l’envoyer dans la direction opposée, chez l’adversaire. Et ça marche ! Le temps pour les autres de s’organiser, il ne reste plus de temps. Nous avons gagné ! Cependant, pas question de fêter trop fort, ni trop vite. Il en reste une, le lendemain, celle qui fera foi de tout ! Je m’endors facilement malgré le bruit, revoyant encore et encore le dénouement heureux de cette partie, qui restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Après une nuit des plus réparatrice, nous partons vers Lévis. Premier stop, le traversier. Je pense que c’est une première pour à peu près tout le monde. Le frère Guilbert est en grande conversation avec papa. Je pense qu’ils se rassurent mutuellement, les deux jetant continuellement des regards inquiets vers le fleuve. Nous arrivons enfin de l’autre côté. Le patro de Lévis est encore à une bonne vingtaine de minutes de trajet. Nous arrivons enfin.
Deux belles grandes patinoires nous attendent. Plus grandes encore que celles dont nous disposons à Montréal. Autant il a fallu s’adapter à l’étroitesse de celle de St-Vincent, autant il faudra s’adapter à l’immensité de celles-ci.
C’est donc la partie décisive. Nous sommes relativement calmes et confiants. Le coach a décidé de faire confiance à Martellino dans les buts. C’est effectivement un gardien moins spectaculaire mais peut-être plus régulier que Trépanier, extraordinaire, lui, quand il est ‘hot’, mais bien ordinaire quand il ne l’est pas. En fin de compte ils se valent, chacun à leur façon. Suffit d’employer le bon, au bon moment, ce qui relève autant de la psychologie que d’une évaluation purement factuelle.
Encore une fois la partie est très serrée. On est un peu, beaucoup fatigués. L’excitation du voyage, une troisième rencontre en deux jours, tout cela contribue à un certain relâchement. La concentration commence sérieusement à faire défaut. À un point tel que vers la fin de la troisième période, alors que le score est égal, je vais commettre une erreur qui restera gravée dans la mémoire de tous les participants, si ce n’est même dans les annales sportives du Patro.
Un attaquant adverse se dirige à fond de train vers notre zone. Il est seul de son camp. Je suis seul aussi de mon côté. Si je compte bien, c’est un ‘’un contre un’’. Je suis à mon meilleur dans ces situations ; il est extrêmement rare que je me fasse déjouer. Mais rendu à la hauteur du cercle de la mise en jeu, alors que je m’attends à ce qu’il tente de poursuivre sa course jusqu’au but, surprise ! Il s’élance pour un lancer-frappé. Je ne m’attends pas du tout à cela. J’ai trop reculé et il est maintenant trop tard pour le rejoindre empêcher cette frappe. Je tente donc de me tasser à gauche pour ne pas obstruer la vue de mon gardien. Au même moment, le tir est décoché. Il file au ras de la glace et semble à moitié raté. Je suis déjà sur un élan arrière. De plus, j’ai amorcé mon mouvement vers la gauche et la rondelle se dirige à ma droite. Dans un geste désespéré, présumant que Martellino n’a rien vu, je tente de faire dévier le lancer dans le coin. Malheureusement, toutes ces contorsions provoquent ma chute au moment même où le disque arrive à ma hauteur. Résultat : je le loge directement dans mon propre filet, sous le regard stupéfait de mon gardien ainsi que de mes coéquipiers. Anéanti, je me laisse glisser jusque dans le fond de mon but. Je reste là, étendu sur la glace, pendant un long moment. J’entends quelqu’un me demander si tout va bien. Je ne peux pas rester ainsi éternellement. Même si je n’en ai aucune envie, je me dois d’affronter ma honte. Je me relève péniblement, la mort dans l’âme.
Aussitôt, je suis rappelé au banc. ‘’Ça y est’’ me dis-je, la partie est terminée pour moi. À mon grand étonnement, c’est tout le contraire qui se produit. Le coach m’abreuve de paroles rassurantes et me laisse sur la glace ! En ajoutant, à la dernière minute : ‘’Tu sais ce qui te reste à faire’’. Tu parles si je le sais !
Dès la remise en jeu, je fonce vers le but ennemi, animé d’une rage de compter inimaginable. J’ai complètement oublié ma position de défenseur. De toute façon, avec le peu de temps qu’il reste, il faut marquer le plus rapidement possible. Le reste n’a plus aucune importance.
Heureusement, nous réussissons rapidement à lancer la rondelle au fond de leur territoire. C’est la course. Je laisse les ailiers faire leur travail et je me positionne dans l’enclave, tout près du but. Un de nos joueurs de centre, Lagacé, petit mais rapide, a eu la même idée. Nous sommes donc deux à pousser, à se faire frapper, à essayer de se donner un peu d’espace dans cette zone privilégiée. Tout à coup, un miracle ! La rondelle est là, devant un filet presque désert. Je me rue sur elle et, dans un ultime effort, je réussis à la pousser au- delà de la ligne rouge. C’est l’euphorie ! Toute l’équipe saute sur la glace et m’entoure pour me féliciter. Je me sens soulagé d’un énorme poids. La partie se termine sur un pointage égal mais qu’importe. Nous avons évité le pire. C’est la tête haute que les deux équipes se serrent la main.
Nous avons repris la route immédiatement après. C’était déjà terminé. Mon passage au Patro aussi tirait à sa fin, même si je n’en étais pas encore pleinement conscient. De profonds bouleversements allaient bientôt changer notre vie de fond en comble. Entre-temps, ce voyage m’aura tout de même appris une foule de choses que le temps se chargera, de temps à autre, de me rappeler. La principale est que même si on commet des erreurs – et on en commet à coup sûr -, il ne faut jamais cesser de se faire confiance pour être capable de continuer à progresser. Dans notre société où prime la qualité totale, où tout doit être parfait du premier coup, on oublie souvent que la seule façon d’avancer est d’apprendre de nos erreurs. Pourquoi la méthode scientifique, qui n’est rien d’autre au fond qu’une série d’essais et de tâtonnements, pourquoi cette méthode donc, ne s’appliquerait qu’aux sciences dites exactes (notez d’ailleurs l’ironie de la chose) ? La nature elle-même n’a-t-elle pas commis des bourdes monumentales avant d’arriver à ce que nous considérons, à tort ou à raison, comme son chef-d’oeuvre, c’est-à-dire l’Homme. N’est-ce pas là un brin narcissique ? Qu’est-ce qui nous dit que nous ne sommes pas aussi une erreur appelée à disparaître pour laisser la place à une race plus évoluée. À l’échelle de l’univers, c’est une hypothèse tout à fait envisageable. En étudiant le passé, on note d’ailleurs que la chose s’est souvent produite ; mais quand on plonge notre regard vers l’avenir, il nous est humainement impossible de l’envisager. Pourtant…
Mais pour l’instant, mon petit monde, et même ce que je pouvais envisager de mon avenir, se limitait encore à la rue Waverly. Mais quand même pas exclusivement. Pas tout à fait…
Le mari de ma soeur adorait le hockey. Il faisait lui-même partie d’une ligue dont j’ai été, pendant un temps, le chronométreur et l’annonceur officiel. De fil en aiguille, il s’était mis en tête, va savoir pourquoi, de devenir entraîneur. Je me souviens de ses premières timides démarches auprès du frère Guilbert, alors responsable de notre section. Ce fut pour le moins ardu.
L’idée de départ était de former une équipe d’élite, regroupant les meilleurs éléments midget de la section, et de l’inscrire dans une ligue montréalaise dûment constituée. La direction du Patro y opposa une fin de non-recevoir catégorique. Elle y voyait une menace d’affaiblissement de ses propres structures (conflit d’horaire avec son propre calendrier, par exemple), une brèche dans sa vocation de participation de masse sans compter une source potentielle de conflits internes, les membres de l’élite et ceux de la masse ne faisant pas toujours bon ménage.
Bien que déçu de la tournure des événements, Robert ne s’avoua pas vaincu pour autant. Il revint à la charge avec un projet quelque peu modifié : on formerait toujours une équipe inter, mais elle disputerait une série de parties hors-concours contre toutes les équipes externes qu’il serait possible de convaincre de nous affronter, incluant les équipes de la ville, d’autres centre de loisir municipaux, des orphelinats et bien sûr d’autres Patro. On s’arrangerait pour que ces activités ne nuisent pas au calendrier régulier. Pour ce qui est de l’argument des tensions entre les meilleurs et les moins bons, il fut balayé du revers de la main par l’existence actuelle d’équipes de ce genre au basket-ball.
Après moult hésitations, on lui donna finalement le feu vert. Le camp de sélection pouvait s’ouvrir. J’étais à la fois heureux et anxieux d’y participer. J’étais un joueur respectable, sans plus. Comme au basket, je m’attendais à faire l’équipe mais à y jouer plutôt un rôle de réserviste, selon ma propre évaluation. D’ailleurs question évaluation, Robert me mit tout de suite en garde : ce n’était pas parce que j’étais son beau-frère que j’allais automatiquement faire l’équipe ! En clair, cela voulait dire que non seulement il n’y aurait pas de favoritisme, mais que je devrais même en donner un peu plus pour que tout le monde soit certain qu’il n’y en avait pas !
Heureusement, tout se déroula sans problèmes et je fus sélectionné. Mais contrairement au basket, il n’y avait pas vraiment de réserviste dans l’équipe. Cela aurait été carrément de la cruauté, étant donné que nous disputions la majorité de nos matchs sur des patinoires extérieures par des froids souvent sibériens. Imaginez un joueur se les geler sur le bord de la bande, par moins 20, pendant trois périodes ! Nous étions donc tous plus ou moins réguliers.
Nous pratiquions le samedi matin. Il y avait beaucoup de travail à faire. Énormément de travail ! Nous n’étions au départ qu’une bande de poules pas de tête. Il fallait nous mettre en forme, nous donner un système de jeu et former une équipe avec des joueurs qui étaient plus souvent qu’autrement habitués à jouer en égoïstes. Le coach avait réussi à mettre la main sur des films, commandités par les céréales Weetabix, démontrant les bases du jeu. C’est par là qu’il fallait commencer. Je me souviens de la tête de frère Guilbert lorsque dans un de ces films, on nous enseignait la base du jeu défensif : arrêter l’homme d’abord, s’occuper de la rondelle ensuite. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cela allait à l’encontre de la philosophie de jeu qui prévalait jusque-là ! Nous sortions ensuite sur la patinoire pour de longues séances de patinage, avant, arrière, sans lever la lame de la glace, des exercices de freinage de bande à bande, etc. Épuisés, on passait alors aux situations de jeu, à deux contre un, un contre un, trois contre deux, etc. Quelques semaines de ce régime et nous commencions à ressembler à une équipe. Il était temps de se mesurer à l’adversaire.
Notre toute première partie fut disputée dans notre cour, littéralement, contre une équipe de Québec. Nous venions tout juste de recevoir nos nouveaux uniformes jaunes et noirs, les mêmes couleurs que celles du basket-ball, et nous en étions très fiers. De notre jeu, par contre, nous le fûmes beaucoup moins. Un vrai désastre ! On dirait que nous avions tous oublié ce que nous avions durement appris pendant les semaines précédentes. Aucune cohésion, efforts individuels vains, passes molles, rien, mais absolument rien ne fonctionnait. Après deux périodes, nous tirions de l’arrière par six ou sept buts. Le coach n’était pas loin de la panique. Les autres ne s’en apercevaient peut-être pas, mais moi je le connaissais bien. Il avait tellement travaillé pour mettre cette équipe sur pied, convaincu tellement de monde du bienfait et des retombées positives d’être représenté par elle… Se faire battre de cette façon fichait pas mal en l’air toutes les belles théories du prestige qui y étaient associée. Il fallait faire quelque chose et vite.
Dans le petite garde-robe qui nous servait de vestiaire, Robert nous a réunis après la deuxième période. Nous avions le caquet plutôt bas. Il n’était plus question ici que de limiter les dégâts. En clair, raffermir la défensive. C’est alors qu’avec mon accord, il prit une décision qui changea dramatiquement le cours de ma carrière de hockeyeur : d’attaquant, je fus muté au poste de défenseur. Advienne que pourra.
Il s’avéra que ce changement fut des plus bénéfiques, à la fois pour l’équipe et pour moi. D’abord l’adversaire ne marqua plus un seul but du reste de la partie. De mon côté, je prenais un réel plaisir à dévier les rondelles, frapper l’adversaire et relancer l’attaque. Je ne suis plus jamais retourné jouer à l’avant. J’étais devenu le pilier de notre défensive, c’est le coach qui me l’avoua lui-même un peu plus tard. Pourtant, je ne possédais aucune habileté vraiment particulière. J’avais un coup de patin bien moyen et un lancer assez faible, quoique toujours gardé bas et décoché sans avertissement grâce à une demi-frappe surprenante. Ce qui me distinguait en fait, c’était ma vision de l’action ainsi qu’un jeu de position impeccable. Je ne me débarrassais de la rondelle que très rarement et mes passes étaient précises. J’avais aussi développé un petit coup de poignet qui me permettait de soulever légèrement la rondelle au-dessus des bâtons adverses, juste assez pour qu’elle retombe doucement sur la glace, passée l’obstacle, directement sur le hockey de mon coéquipier. C’est donc une série de petites habiletés qui m’avaient rendu indispensable à l’équipe. Mais pas assez cependant pour en devenir le capitaine.
Un samedi matin, au terme d’une élection tenue au sous-sol du Patro, là où nous visionnions les films de hockey, Yvon Couturier fut nommé capitaine de l’équipe. Le coach avait tenu à ce que nous en décidions nous-mêmes. J’étais le seul autre candidat, proposé par Jacques Trépanier, un de nos deux gardiens de but et mon grand chum. Cela m’a fait un petit pincement au coeur, habitué comme je l’étais à toujours être le premier, le meilleur ou le président de ceci ou cela, mais c’était correct. Je ne l’ai pas mal pris. Il était de toutes façons très rare qu’un défenseur, dans quelque sport que ce soit, obtienne ce titre. Bobby Orr en a été l’exception la plus notable. J’ai quand même obtenu un prix de consolation lorsque le coach, qui s’était réservé le privilège de nommer lui-même les assistants, me remis un beau A, à coudre sur mon chandail. C’est donc en arborant fièrement ce nouvel insigne que je sautai sur la glace pour notre deuxième affrontement.
Le fait de former une équipe inter midget avait tout naturellement incité la direction à faire de même pour la catégorie bantam. Il était alors dans l’ordre des choses que pour compléter notre préparation, nous affrontions cette autre équipe, histoire de rebâtir notre confiance. Nous envisagions cette partie avec optimisme et même un brin d’arrogance. Erreur.
Dès les premières minutes, nous avons clairement senti que ce ne serait pas facile. Débordant de confiance, nous étions vite retombés dans nos vilaines habitudes. J’ai même fait un vrai fou de moi en voulant décocher rapidement un lancer de la pointe, passant complètement dans le beurre, sous les rires et les sarcasmes de mes adversaires. Nous avions fini par gagner de peine et de misère mais nous avions eu chaud et en avions surtout tiré les leçons qui s’imposaient. Je pense que c’est précisément à partir de ce moment que nous avons commencé à réellement former une équipe. À se serrer les coudes et à vraiment compter les uns sur les autres. Pas juste à vouloir le faire dans le but adverse…
Nous avions une partie à jouer presque à chaque semaine. Quelquefois même dans des arénas, chose toute nouvelle et passablement excitante pour nous. À cause du peu de disponibilité des amphithéâtres, nous jouions ces parties très tôt le matin. Tellement qu’il arrivait, pour être sûrs d’y être et d’éviter de se lever à trois heures du matin pour aller chercher tout le monde, que quelques joueurs dorment chez Robert la veille du match. Avec la pizza en prime ! Ces parties étaient les plus difficiles car disputées contre des adversaires aguerris, sur leur propre terrain. On ne les gagnait pas souvent mais on tenait bien notre bout. Tellement que le mot avait circulé en ville que le Patro avait une bonne petite équipe et qu’on ne devait pas les prendre à la légère. Conseil très bien suivi par les élites de Montréal-Nord que nous avons affrontés un beau samedi matin.
Quand nous avons vu l’équipe de gorilles d’en face sauter sur la patinoire, notre sang n’a fait qu’un tour. Pour nous affronter, ils avaient réuni une équipe d’étoiles ! Nous n’étions qu’une bonne petite équipe de calibre B ! Le coach nous a alors réunis pour nous dire de ne pas trop s’en faire avec le résultat et de donner le meilleur de nous-mêmes. Ce qui ne nous a pas empêché de se faire laver onze ou douze à un ! Nous avons appris par la suite que quelques-uns d’entre eux avaient été invité à des camps professionnels et qu’un certain Péloffy avait même joué pro en Europe. Pas étonnant que je n’ai pu l’arrêter qu’une seule fois ! Et encore, uniquement parce qu’on s’y était mis à deux, Daniel Hubert et moi, qui formions pourtant la meilleure paire de défenseurs de l’équipe ! Heureusement, la plupart de parties étaient beaucoup plus équilibrées.
Que ce soit contre le centre Saint-Denis, les loisirs Saint-Édouard, le comité des jeunes de Rosemont ou encore l’orphelinat Saint-Arsène, nous gagnions toujours notre part de matchs, à moins de se faire voler par l’arbitre local, ce qui fut particulièrement flagrant lors d’une partie contre Saint-Arsène, chez eux.
Première surprise en foulant la glace, les buts ne possèdent pas de filets ! Plutôt difficile de juger de la validité d’un point dans les circonstances. Ce qui devait arriver arriva donc ; nous perdîmes sur un but contesté qui, selon le père de Robert, M. Auger, posté tout près, la rondelle n’avait jamais pénétré dans le filet (façon de parler puisqu’il n’y en avait pas, matériellement parlant). Je n’avais jamais vu M. Auger aussi fâché. Il était même descendu sur la glace pour enguirlander l’arbitre et lui faire voir la trace de la rondelle, tout juste à l’extérieur du poteau. Peine perdue.
De retour au Patro, nous avions dénoncé cette injustice en dessinant toute la scène sur le tableau au-dessus de la porte et illustrant, diagramme à l’appui, la trajectoire présumée de la rondelle. Ce dessin est resté là jusqu’au match retour, la semaine suivante, à domicile cette fois. Nous avions donc eu toute la semaine pour nous pomper et préparer notre revanche. Ils en ont mangé toute une, je vous prie de me croire. J’ai même marqué mon premier but. Mon père, qui était présent, m’avait promis un paquet de cigarettes si j’en réussissais un. Sous l’oeil réprobateur du coach et des frères, il dû s’exécuter et j’en fumai quelques-unes à sa santé…
Il arrivait assez fréquemment que des membres de ma famille ou de celle de Robert assistent à nos parties ; ou même nous accompagnent en voyage. Mon plus beau souvenir de cela demeure cette virée que nous avions fait à Québec afin d’affronter les équipes des autres Patros.
Nous étions partis pour toute une fin de semaine afin de disputer trois parties hors-concours aux patros de Rocamadour, St-Vincent et Lévis. Deux le samedi, en après-midi et en soirée, et une le dimanche. Mon père nous accompagnait. Nous avions perdu la première et comme l’honneur de Montréal était en jeu, il n’était pas question de subir une autre défaite.
En arrivant près du lieu de notre deuxième rencontre, nous fûmes passablement surpris de se retrouver tout près du vieux Québec. Nous avions bien une adresse, mais il nous semblait impossible qu’un de ces vieux immeubles abrite un centre de loisirs. Les rues étaient tellement étroites… Les portes d’entrée donnaient directement sur les trottoirs, sans aucune cour ou espace libre sur le devant… Il devait y avoir une erreur…
Et pourtant non ! Après quelques minutes de recherches, on vient nous avertir que nous sommes bel et bien arrivés. En entrant dans cette maison encastrée entre deux commerces, on se demande où peut bien se trouver la patinoire ? Un peu plus loin ? À quelques rues ? On nous invite à passer vers l’arrière. Incroyable ! Nous découvrons alors une vaste cour intérieure qui abrite une vraie patinoire de hockey ! En fait, elle couvre pratiquement toute la surface de la cour. Elle nous semble légèrement plus petite que la normale mais bon, c’est un détail. Nous allons pouvoir jouer !
Dans le vestiaire, ou ce qui en tient lieu, la tension est palpable. Nous devons absolument gagner. Pas question de revenir à Montréal avec une fiche inférieure à .500. La partie est difficile, l’adversaire coriace. L’éclairage quelque peu déficient complique encore plus les choses. Qu’importe, on donne tout ce qu’on a. Vers la fin, nous menons par un but et il faut préserver cette avance. Au diable les belles théories de participation, Robert fait jouer ses meilleurs éléments. Il nous l’a rappelé à l’entracte : il ne veut pas de nul. Tout ce qui l’intéresse, c’est la victoire. Plus la partie avance, plus je joue souvent. À chaque fois que je sors reprendre mon souffle, il me demande de l’avertir quand je serai prêt à retourner dans le feu de l’action.
Il ne reste maintenant que quelques minutes. Nous sommes toujours en avance d’un but. J’ai possession de la rondelle dans le fond de mon territoire. D’un coup d’oeil, je m’aperçois que personne n’est libre pour recevoir une passe. L’autre équipe a enlevé son gardien et accentue sa pression sur le porteur du disque. Un ailier s’amène en trombe sur moi. Je dois prendre une décision immédiate. Je n’ai pas vraiment le choix. Je dois dégager. Mais en même temps, éviter que ce soit un dégagement refusé afin de ne pas subir de mise au jeu dans notre zone. Je soulève le disque à la Jean-Claude Tremblay, c’est-à-dire très haut dans les airs en direction du but adverse, déserté. Il ne faut pas que le caoutchouc traverse la ligne des buts, il ne faut pas…. Ouf ! Il s’arrête à quelques pouces du but et de la ligne fatidique.
Roussel, un de nos meilleurs attaquants, un gars très rapide qui a aussi l’habitude de ‘’seiner’’ régulièrement près de la ligne rouge, arrive au disque bien avant les défenseurs ennemis, mais il sait que s’il y touche il sera déclaré hors-jeu, ayant franchi deux lignes bien avant elle. Il reste donc là, le bâton au-dessus, n’osant pas même l’effleurer, l’arbitre à côté de lui, le bras levé. La scène est presque surréaliste. Mais nous gagnons du temps et c’est tout ce qui compte. Un adversaire arrive enfin. Il fait mine de prendre possession de la chose, mais c’est une ruse. Roussel mord à la feinte et lui touche en premier. Coup de sifflet ! Mise au jeu dans notre territoire avec quelques secondes à faire.
Le coach demande un temps d’arrêt. À la fois pour nous reposer et pour parler stratégie. Elle est très simple : sortir la rondelle de notre territoire à tout prix. L’arbitre siffle de nouveau. Tout le monde se repositionne. L’adrénaline coule à flots, d’un côté comme de l’autre. À la reprise du jeu, surprise ! Au lieu d’essayer de remettre le disque vers l’arrière, notre joueur de centre frappe le plus fort possible pour l’envoyer dans la direction opposée, chez l’adversaire. Et ça marche ! Le temps pour les autres de s’organiser, il ne reste plus de temps. Nous avons gagné ! Cependant, pas question de fêter trop fort, ni trop vite. Il en reste une, le lendemain, celle qui fera foi de tout ! Je m’endors facilement malgré le bruit, revoyant encore et encore le dénouement heureux de cette partie, qui restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Après une nuit des plus réparatrice, nous partons vers Lévis. Premier stop, le traversier. Je pense que c’est une première pour à peu près tout le monde. Le frère Guilbert est en grande conversation avec papa. Je pense qu’ils se rassurent mutuellement, les deux jetant continuellement des regards inquiets vers le fleuve. Nous arrivons enfin de l’autre côté. Le patro de Lévis est encore à une bonne vingtaine de minutes de trajet. Nous arrivons enfin.
Deux belles grandes patinoires nous attendent. Plus grandes encore que celles dont nous disposons à Montréal. Autant il a fallu s’adapter à l’étroitesse de celle de St-Vincent, autant il faudra s’adapter à l’immensité de celles-ci.
C’est donc la partie décisive. Nous sommes relativement calmes et confiants. Le coach a décidé de faire confiance à Martellino dans les buts. C’est effectivement un gardien moins spectaculaire mais peut-être plus régulier que Trépanier, extraordinaire, lui, quand il est ‘hot’, mais bien ordinaire quand il ne l’est pas. En fin de compte ils se valent, chacun à leur façon. Suffit d’employer le bon, au bon moment, ce qui relève autant de la psychologie que d’une évaluation purement factuelle.
Encore une fois la partie est très serrée. On est un peu, beaucoup fatigués. L’excitation du voyage, une troisième rencontre en deux jours, tout cela contribue à un certain relâchement. La concentration commence sérieusement à faire défaut. À un point tel que vers la fin de la troisième période, alors que le score est égal, je vais commettre une erreur qui restera gravée dans la mémoire de tous les participants, si ce n’est même dans les annales sportives du Patro.
Un attaquant adverse se dirige à fond de train vers notre zone. Il est seul de son camp. Je suis seul aussi de mon côté. Si je compte bien, c’est un ‘’un contre un’’. Je suis à mon meilleur dans ces situations ; il est extrêmement rare que je me fasse déjouer. Mais rendu à la hauteur du cercle de la mise en jeu, alors que je m’attends à ce qu’il tente de poursuivre sa course jusqu’au but, surprise ! Il s’élance pour un lancer-frappé. Je ne m’attends pas du tout à cela. J’ai trop reculé et il est maintenant trop tard pour le rejoindre empêcher cette frappe. Je tente donc de me tasser à gauche pour ne pas obstruer la vue de mon gardien. Au même moment, le tir est décoché. Il file au ras de la glace et semble à moitié raté. Je suis déjà sur un élan arrière. De plus, j’ai amorcé mon mouvement vers la gauche et la rondelle se dirige à ma droite. Dans un geste désespéré, présumant que Martellino n’a rien vu, je tente de faire dévier le lancer dans le coin. Malheureusement, toutes ces contorsions provoquent ma chute au moment même où le disque arrive à ma hauteur. Résultat : je le loge directement dans mon propre filet, sous le regard stupéfait de mon gardien ainsi que de mes coéquipiers. Anéanti, je me laisse glisser jusque dans le fond de mon but. Je reste là, étendu sur la glace, pendant un long moment. J’entends quelqu’un me demander si tout va bien. Je ne peux pas rester ainsi éternellement. Même si je n’en ai aucune envie, je me dois d’affronter ma honte. Je me relève péniblement, la mort dans l’âme.
Aussitôt, je suis rappelé au banc. ‘’Ça y est’’ me dis-je, la partie est terminée pour moi. À mon grand étonnement, c’est tout le contraire qui se produit. Le coach m’abreuve de paroles rassurantes et me laisse sur la glace ! En ajoutant, à la dernière minute : ‘’Tu sais ce qui te reste à faire’’. Tu parles si je le sais !
Dès la remise en jeu, je fonce vers le but ennemi, animé d’une rage de compter inimaginable. J’ai complètement oublié ma position de défenseur. De toute façon, avec le peu de temps qu’il reste, il faut marquer le plus rapidement possible. Le reste n’a plus aucune importance.
Heureusement, nous réussissons rapidement à lancer la rondelle au fond de leur territoire. C’est la course. Je laisse les ailiers faire leur travail et je me positionne dans l’enclave, tout près du but. Un de nos joueurs de centre, Lagacé, petit mais rapide, a eu la même idée. Nous sommes donc deux à pousser, à se faire frapper, à essayer de se donner un peu d’espace dans cette zone privilégiée. Tout à coup, un miracle ! La rondelle est là, devant un filet presque désert. Je me rue sur elle et, dans un ultime effort, je réussis à la pousser au- delà de la ligne rouge. C’est l’euphorie ! Toute l’équipe saute sur la glace et m’entoure pour me féliciter. Je me sens soulagé d’un énorme poids. La partie se termine sur un pointage égal mais qu’importe. Nous avons évité le pire. C’est la tête haute que les deux équipes se serrent la main.
Nous avons repris la route immédiatement après. C’était déjà terminé. Mon passage au Patro aussi tirait à sa fin, même si je n’en étais pas encore pleinement conscient. De profonds bouleversements allaient bientôt changer notre vie de fond en comble. Entre-temps, ce voyage m’aura tout de même appris une foule de choses que le temps se chargera, de temps à autre, de me rappeler. La principale est que même si on commet des erreurs – et on en commet à coup sûr -, il ne faut jamais cesser de se faire confiance pour être capable de continuer à progresser. Dans notre société où prime la qualité totale, où tout doit être parfait du premier coup, on oublie souvent que la seule façon d’avancer est d’apprendre de nos erreurs. Pourquoi la méthode scientifique, qui n’est rien d’autre au fond qu’une série d’essais et de tâtonnements, pourquoi cette méthode donc, ne s’appliquerait qu’aux sciences dites exactes (notez d’ailleurs l’ironie de la chose) ? La nature elle-même n’a-t-elle pas commis des bourdes monumentales avant d’arriver à ce que nous considérons, à tort ou à raison, comme son chef-d’oeuvre, c’est-à-dire l’Homme. N’est-ce pas là un brin narcissique ? Qu’est-ce qui nous dit que nous ne sommes pas aussi une erreur appelée à disparaître pour laisser la place à une race plus évoluée. À l’échelle de l’univers, c’est une hypothèse tout à fait envisageable. En étudiant le passé, on note d’ailleurs que la chose s’est souvent produite ; mais quand on plonge notre regard vers l’avenir, il nous est humainement impossible de l’envisager. Pourtant…
Mais pour l’instant, mon petit monde, et même ce que je pouvais envisager de mon avenir, se limitait encore à la rue Waverly. Mais quand même pas exclusivement. Pas tout à fait…
Si vous désirez de plus amples informations:
– rejoignez la page Facebook du groupe des anciens du Patro Le Prévost
– ou bien, consultez le site du Patro Villeray qui a pris la suite,
– rien ne vous empêche également, d’ajouter vos propres commentaires et souvenirs ci-dessous.
Références et sources
© SHP et Pierre Prévost, 2021.
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Wow!! Just by accident, stumbled on this website. What memories!!
I grew up on L’Eplanade and Saint-Viateur in the 60′ and was a member of the Patro for a few years. Very interesting reading indeed!
Hi Lou ! Thanks for your comment ! I realy do apreciate !
A new chapter is on the way. It will cover the whole neiberhood of the Mile-end. Stay tuned !
Regards !
Great to hear Pierre!!
Looking forward to it.
Keep me posted. On many occasions I go back to the old neighborhood especially in the Summer.
Cheers!
Pierre Prévost a vraiment un grand talent de conteur. Il devrait écrire sa biographie.
Merci M. Ascah
J’apprécie énormément. Ce que vous lisez ainsi que presque tous les autres articles que j’ai publiés sur ce blogue sont effectivement tirés d’un livre intitulé »Rue Waverly » qui raconte mon enfance de 0 à 15 ans dans le Mile-End. Ce bouquin n’est toujours pas publié officiellement mais je garde toujours espoir qu’il le sera un jour.
Merci encore et bonne continuité !
Salut à tous les visiteurs,
Vous trouverez, ci-joint, un article que Pierre Prévost (frère à Lorraine) a écrit pour la Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal. Pierre a également écrit totune série d’articles pour la Société.
Le numéro 6 du Patro, raconte « Mes souvenirs du hockey au Patro ». Ce fut mes débuts dans le domaine du coaching au hockey.
Pierre, je dois t’avouer que tu as toute une mémoire. Tu expliques avec tellement de précision cette étape importante de ma vie.
En plus Pierre, tu décris d’une façon tellement imagée ce qui s’est passé pour implanter un programme de hockey au Patro de la rue Saint-Dominique.
Merci Pierre pour ces beaux souvenirs. Tu as une excellente plume.
Bonne lecture.
Robert
Merci à vous tous pour tous ces compliments, c’est très encourageant.
Je suis très heureux d’avoir « déniché » Pierre qui raconte à merveille ses histoires vécues.
Mais je crois qu’il a prévu une pause électorale et dés qu’il le voudra il me fera plaisir de monter avec lui d’autres articles sur le passé du Plateau.
Bonne lecture
Ange Pasquini webmestre
WOW!
On a lu ce récit avec beaucoup d’émotions. Magnifiquement bien écrit et surtout véridique tu nous a ramené à une époque tellement importante pour nous. Tu as une excellente mémoire. Bravo pour ce beau talent que tu as de mettre des mots sur des situations et émotions.
Robert et Lorraine
Merci beaucoup!
C’est exactement ce pourquoi j’écris! Amener des émotions positives…
Je te confie, Cher Pierre. que tes écrits m’ont littéralement captivé.
Que de beaux moments vous avez vécus!
Chapeau pour ta plume qui nous garde en haleine.
Même si c’est la deuxième fois que je lis ces passages, j’ai adoré plonger à nouveau dans tes péripéties du hockey et du patro.
Tes récits sont accrocheurs et drôlement bien ficelés!
Merci pour ce partage mon amour!
Wow Pierre!
C’est un très bon texte, pas parce qu’il parle de mon frère Robert Auger?, époux de ta soeur Lorraine Auger; mais parce qu’il parle des valeurs transmises au Patro.
Merci de tout cœur pour ce beau témoignage d’une autre époque et pour toutes ces petites histoires du Plateau.
Denis Auger
Voici un article passionnant, qui devrait être envoyé au Canadiens de Montréal.
Félicitations à l’auteur,
Pauline