Scène de rue 2. La filière du charbon et de l’amour
Dans laquelle Eucher démarre un commerce de charbon sur la rue Laurier.
Première Guerre mondiale
De l’autre côté de l’Atlantique, l’Europe entre en guerre. Les frères Leduc connaîtront-ils l’horreur des tranchées ? Le nom d’Oscar-Eugène n’apparaît pas dans le répertoire du personnel de la Première Guerre mondiale disponible en ligne, quant à Eucher, on le voit en uniforme sur une photo de 1914 prise dans le studio du photographe Élie Gendron (1883-1953), à Beauharnois. Le jeune homme de 20 ans fait partie du Royal Flying Corps (RFC). Ce qui l’intéresse, c’est de piloter des aéronefs. Possible qu’il soit entré dans le RFC avant la déclaration de guerre, car il devient pilote qualifié et porte le grade de lieutenant, mais rien n’indique qu’il aura survolé les troupes ennemies. Après sept mois, il quitte la milice active, une défection qui précède la mort de sa mère, Florentine Vinet, en août 1915.
Oscar-Eugène et Agnès
Oscar-Eugène fait la rencontre d’Agnès Campeau, qu’il épouse en 1916 à l’église Saint-Pierre-Claver, la paroisse de la mariée. Agnès va vivre avec son mari à Beauharnois, où celui-ci exerce le métier de comptable. Peut-être même qu’ils habitent avec le reste de la fratrie Leduc (voir Scène de rue 1) dans la grande maison familiale. En avril 1917, Agnès donne naissance à un fils, Gérard, le premier de la lignée des cousins-cousines. Bébé choyé et coqueluche de ses quatre tantes et de son oncle Eucher, Gérard est baptisé à l’église Saint-Clément de Beauharnois. Il a pour marraine Anita, l’aînée de la fratrie, et pour parrain Eucher, identifié comme comptable sur l’extrait de naissance.
La conscription
Après son mariage avec Aldéric Gobeille, en 1918, Anita quitte Beauharnois et la fratrie se disloque. Les frères Leduc, Agnès et le petit gagnent la métropole et s’installent dans un logement sur le Plateau Mont-Royal, rue Pontiac. La fraternelle cohabitation sera de courte durée, abrégée de force. La guerre a redoublé d’ardeur. Sur le champ de bataille, les militaires se départagent dorénavant entre deux camps, les volontaires et les conscrits. Depuis 1917, une loi sur le service militaire prévoit que tous les citoyens de sexe masculin de 20 à 45 ans sont tenus de faire leur service militaire, s’ils sont appelés durant la guerre. Eucher a tiré le numéro gagnant. Il est célibataire, âgé de 24 ans et 8 mois, il mesure 5 pieds et 4 pouces, il a les yeux et les cheveux bruns et pèse 126 livres. Il y a peut-être ce bruit à la base du cœur, mais ça ne cause pas d’invalidité ; estampille catégorie A2, le médecin le déclare bon pour le service. Eucher quitte l’appartement de la rue Pontiac et l’emploi de commis de banque qu’il occupe alors, et rejoint le Corps expéditionnaire canadien.
La recrue no 3040723
Le dossier militaire résume sous forme d’abréviations, le passage éclair de la recrue no 3040723 dans l’armée : T.O.S., Tr., R.O., C.O.R., C.O.T.C., et tout le reste. En langage décodé, Eucher est recruté le 9 septembre 1918, il est porté à l’effectif le 1er octobre 1918 et nommé sergent le 29 du même mois. Malgré son expérience dans le RFC, il est intégré dans un bataillon de chars, le 3rd French Canadian Tank Battalion C.M.G.C. Ça n’ira pas plus loin. En effet, il est sauvé in extremis par les cloches qui sonnent l’armistice. Le 26 novembre, Eucher est démobilisé, « S.O.S. », comme ils disent, pour « rayé des effectifs », version anglaise. Il reste, de son séjour dans le Corps expéditionnaire, une photo de lui en uniforme prise dans un studio de la rue Saint-Denis à Montréal, Eucher n’a pas quitté le sol canadien.
Ci-contre : Eucher Leduc, St-Denis photo studio, 252 St-Denis St., Montreal, vers 1918.
Les frères Leduc, rue Laurier
En 1919, Oscar-Eugène travaille pour une imprimerie située au centre-ville, la A. T. Hinton & Co. Il habite avec Agnès et Gérard sur le boulevard Saint-Laurent chez sa sœur Anita (voir Scène de rue 1). Après la naissance de Roger, leur deuxième fils, ils reviennent sur le Plateau Mont-Royal et emménagent au 809 rue Laurier Est avec Eucher, qui est de retour à la vie civile.
Une filière qui carburePetite remontée sur deux générations. Comme l’indique le recensement de 1891, Julien Leduc, le grand-père des frères Leduc, tout comme Louis-Oscar, leur père, ont été commerçants de charbon à Beauharnois. La filière déploie ses tentacules par filiation, mais aussi par les liens du mariage, ceux qui se fréquentent s’assemblent. Anita, la fille de Louis-Oscar, n’a pas échappé à la règle en épousant un marchand de charbon. La filière évolue dans le temps, diversifiant les combustibles, ainsi Aldéric Gobeille, le mari d’Anita, passera du charbon à l’huile.
Sur les traces de son grand-père et de son père, encouragé par son beau-frère, Eucher Leduc se lance à son tour dans le commerce du charbon. Il s’associe avec Joseph Adrien Charbonneau, au nom prédestiné, et fonde avec lui la compagnie Charbonneau & Leduc, qui voit le jour en 1920. Les partenaires d’affaires signent une entente avec Georgianna Pion, l’épouse d’Albert Vandalac, pour la location d’un clos de bois et de charbon situé au 893 de la rue Laurier Est. Cette adresse correspond aux subdivisions 512 et 513 du lot 339 des plan et livre de renvoi officiel du Village de la Côte Saint-Louis. L’enregistrement des actes notariés qui s’y rapportent permet de remonter la trace des propriétaires et locataires du lot, et de suivre l’évolution du commerce d’Eucher dans le temps. Les Leduc habitent à quelques maisons du commerce. Oscar-Eugène, le frère d’Eucher, travaille possiblement aussi pour Charbonneau & Leduc.
Bois et charbon
Joseph Adrien Charbonneau a comme beaux-frères les frères Joseph et Émile Élie de la compagnie Joseph Élie, qui œuvrent dans le commerce du charbon et autres combustibles. Les trois hommes forment une alliance tricotée serrée ayant épousé les sœurs Cordélia, Malvina et Maria Dubois… Dubois et du charbon, je n’invente rien ! En remontant cette veine, Eucher en a, car il croise la route de la séduisante Berthe Cardinal (voir Scène de rue 7), fille issue d’un premier mariage de Maria Dubois, et la nièce de son associé. Après cette rencontre, le cœur du jeune charbonnier s’enflamme, rien ne pourra l’éteindre.
Au bout du filon, le mineur
La filière du charbon exerça-t-elle une influence subliminale jusque sur les descendants Leduc ? Possible puisque, des décennies plus tard, Gilles, le fils de Marie-Ange Leduc (voir Scène de rue 11), travaillera comme mineur de charbon durant ses étés et deviendra… ingénieur minier !
Dans la prochaine Scène de rue, l’intersection Laurier et Fabre telle qu’elle était il y a cent ans (voir Scène de rue 3).
Table des matières- Références et sources
© SHP et Dominique Nantel Bergeron, 2022.
À la découverte des jolis mots québécois
J’aime beaucoup ces mots anciens qui « parlent » comme « fournaise« , « tortue« . C’est un plaisir pour moi de les découvrir en situation, et j’espère bien que nous allons en découvrir plein d’autres.
Encore un fois, je trouve ça très intéressant et je suis impatient de lire la suite. Combien y en aura-t-il?
Voilà une bonne question !
À raison d’une publication tous les 15 et 30 du mois vous aurez le plaisir d’apprécier ce passionnant feuilleton familial jusqu’à la fin du mois de mars 2023.
J’aime votre style « pince sans rire « .
En bon français je dois comprendre que le mot « huile » que l’on trouve dans le texte correspond à notre fioul ou mazout qui est un combustible dérivé du pétrole, utilisé notamment dans les chaudières.
Exact, « huile à chauffage », pour reprendre les termes de la publicité de La Presse de 1949 !