Oh Voleur !
Le quartier n’était pas toujours sécuritaire. Il ne fallait pas flâner quand on marchait sur la rue. Nos parents nous avisaient de ne pas répondre aux automobilistes qui nous interpellaient et nous devions rentrer à la maison avant le coucher du soleil.
Un jour, en revenant de l’école, j’ai déposé, comme à l’habitude, mon sac et ma bourse sur le pied de mon lit juste à côté de la fenêtre entrouverte. Puis je suis allée dans la pièce voisine prendre une collation. À mon retour, quelques minutes plus tard, la bourse avait disparue.
Après une recherche effrénée et moulte questionnements, toute la maisonnée en est venue à la conclusion qu’un voleur avait dû épier mes allées et venues, les jours précédents ; qu’il s’était tapi derrière la palissade de bois, attendant mon retour de l’école ; qu’il avait attendu que je sorte de la pièce pour bondir silencieusement sur la galerie, allonger le bras à travers l’ouverture de la fenêtre et repartir en vitesse avec ma sacoche à la main. L’histoire n’a pas eu de suite.
Sauf que quelques temps après, une nuit, mon père qui était médecin, a reçu un appel téléphonique. Il s’est levé en toute hâte et a couru vers son bureau situé à l’avant de la maison. On lui apprenait qu’une de ses patientes était sur le point d’accoucher. Après s’être informé de l’évolution du travail, mon père a demandé qu’on le rappelle dans une heure. Puis il est revenu temporairement se coucher. Aussitôt allongé, il s’est levé en sursaut criant à ma mère : « Il y a quelqu’un dans la maison ! » De fait, il venait de voir passer une ombre dans le corridor devant sa porte de chambre. Il a couru pour attraper le voleur mais celui-ci avait déjà atteint la porte de la cuisine et s’enfuyait à travers la cour et par de-là la palissade de bois. Il avait sauté avec l’agilité d’un lévrier et était resté caché derrière alors que ma mère l’injuriait de toutes ses forces tandis que mon père appelait la police. Mon frère et moi, réveillés par tout ce brouhaha, avions rejoint nos parents dans la cuisine. La police est arrivée, a écouté le récit de mes parents puis examiné les lieux. À leur avis, le voleur était entré par la fenêtre de chambre de mon frère. Il avait sauté par-dessus le bord de la fenêtre, le calorifère et la bicyclette qui y était appuyée et ce, sans déranger un brin de poussière ni réveillé mon frère. Ensuite, il avait entendu le téléphone sonner. Là les policiers ont émis deux hypothèses : le voleur aurait pu se cacher derrière la porte de chambre ou bien il aurait eu le temps de se rendre dans le bureau et se dissimuler derrière la porte ouverte quand mon père est venu répondre au téléphone. D’une manière ou d’une autre, il a entendu la conversation et a dû comprendre que mon père ne dormirait plus que d’un œil. Il a jugé bon de prendre la fuite. Les policiers nous ont aussi expliqué que depuis un certain temps ils avaient à l’œil un individu qui demeurait dans un appartement au bout de la ruelle. Celui-ci observait tout ce qui se passait autour. Il était de taille petite ; c’était un grimpeur d’une agilité phénoménale et il se déplaçait toujours sans bruit. Quelques semaines auparavant, il était monté au troisième étage de notre immeuble en escaladant les poteaux de galerie, était entré sans bruit dans l’appartement et avait volé le portefeuille de notre voisin dans la poche de son pantalon déposé sur une chaise à côté de son lit. Il était reparti sans réveiller personne.
Après ces épisodes, on n’a plus entendu parler de notre voleur. Mais moi, souvent le soir, pendant de nombreuses années je me suis endormie avec l’idée effrayante que quelqu’un, peut-être, attendait derrière les volets le moment propice de pénétrer dans la maison.
© SHP et Louise Dazé, 2023.
Madame Louise Dazé,
Le docteur Dazé, c’était notre médecin de famille et c’était bien avant la RAMQ. J’ai 77 ans et notre famille de 5 enfants a habité au 4253 rue Brébeuf pendant 18 ans. La bâtisse n’existe plus, elle a été remplacée par un affreux « bloc appartements ».
C’est lui qui a assisté ma mère lors de ma naissance à la maison. Nous étions plutôt pauvres. Les scouts nous apportaient un panier de Noël dans le Temps des Fêtes. Mon père était boucher aux abattoires de la rue Iberville, là où se trouve maintenent le Journal de Montréal. Il n’y avait pas encore de syndicat dans cette industrie et les salaires étaient bas.
Un jour, ma mère avait rendez-vous au bureau du dacteur Dazé, rue Rachel. Il me semble que c’était entre Chambord et De Lanaudière. Au moment de payer la visite, le docteur dit à ma mère : « J’ai vu votre mari qui passait sur la rue Rachel, hier après-midi. As-il perdu son travail ? », Et ma mère de répondre : « Oui, la bâtisse rue Iberville est passée au feu. Il se cherche du travail. » Alors le docteur lui dit : « Madame, allez, vous ne me devez rien aujourd’hui. Les riches paieront pour vous. »
Votre père était un médecin comme on n’en voit plus aujourd’hui. Merci d’avoir inséré sa photo dans votre texte.
Votre témoignage me touche beaucoup et réveille en moi un sentiment de fierté à l’égard de mon père que j’ai toujours beaucoup admiré. Vos parents ne sont pas les seuls à avoir bénéficié de la compassion de mon père, de son souci constant de venir en aide. Il a été reçu médecin en 1929, année du début de la crise économique. Cela devait donner le ton à sa carrière. De plus il était minutieux dans les diagnostics qu’il portait. C’était en quelque sorte un chercheur né qui alliait curiosité, patience et persévérance. Et son jugement était aiguisé.
Soyez assuré que mon père a du être très ému de vous voir arriver en ce monde. Il m’a déjà raconté comment la vue d’un bébé naissant lui tirait les larmes des yeux. Sans le savoir, vous avez fait son bonheur !
Son bureau était à même son domicile et était situé, comme vous l’avez mentionné, sur la rue Rachel, au 1824, entre les rues Papineau et Cartier.
Merci encore pour cette belle délicatesse qui se cache derrière votre témoignage.
Louise Dazé (de trois ans votre aînée)
Un bon sens du rythme pour raconter!
Cela se passait dans la ruelle Jolicoeur
Dans les années 2007, quand notre arrière cour n’était fermée que par un frêle portail, il fut facile au voleur de le forcer pour dérober mon bicycle, qu’en français trop confiant je n’avais pas barré.
Triste histoire ! Surtout, que l’on soit enfant ou adulte, le vol est une intrusion dans notre vie intime et nos habitudes de vies.
Je comprends que le voleur était habile, comment a t-il pu rentrer sans rien casser?
M. Boismenu, la fenêtre de chambre de mon frère par laquelle le voleur est entré, était ouverte. Cette entrée sans effraction est une hypothèse. Mais peut-être a-t-il déverrouillé une porte…
Une autre histoire vécue
Pour Pâques nos parents nous avaient acheté des poussins; ma mère les avait mis dans une boîte de carton puis les avait installés dans la tourelle et pour ne pas qu’ils aient froid, avait posé une lumière en haut de la boîte. Malheur! La chaleur de l’ampoule a causé un incendie. Quelle ne fut pas ma surprise en arrivant de voir des pompiers et leurs boyaux d’arrosage dans la maison et ma mère qui soufflait de l’air dans le bec des poussins. Les petites volailles ont pris le chemin d’un de mes oncles qui avait une ferme. Ce fut la dernière fois que nous avons eu ce cadeau de Pâques. Comme on restait dans le logement en haut de chez vous Louise, je ne sais pas si vous en aviez eu connaissance.
Michèle, je me souviens vaguement de cette aventure. Déception pour tes parents et pour vous, les enfants ! Ta mère a fait pour le mieux et réagi à temps. Bravo !
Cela se passait en quelle année ?
Difficile à dire, M. Perreault. Mon frère, né en 1940, était ado (entre 12 et 15 ans ?) Et mon père faisait encore des maternités à domicile. Donc je situe l’événement autour de 1955.
Une histoire vécue
J’ai déjà eu un voleur venant de la ruelle. Comme l’indique madame Dazé, cela est très énervant pour les enfants. Pour eux, la maison représente normalement un endroit de sécurité. Revenant à la maison et constatant que le jeu Nintendo et quelques autres objets avaient disparu, les enfants ont eu tendance à faire le tour de la maison pendant plusieurs mois chaque fois que nous revenions d’une sortie. J’ai installé des barreaux aux fenêtres pour régler le problème des vols.
Pas drôle d’être obligé de se mettre en prison pour préserver ses biens et son intimité ! Oui, M. Ascah, vous avez raison, l’intrusion d’un étranger dans la demeure marque à jamais le coeur et l’esprit d’un enfant ! Merci d’avoir partagé cette mésaventure.
J’aime !
Heureuse que cette histoire vous ait plu.