Mon école primaire
res au centre. Les classes de première, de deuxième et de troisième année sont au premier étage, celles de quatrième, cinquième et sixième au deuxième et tout en haut, au troisième les deux septièmes années. Au sous-sol, la bibliothèque et la grande salle de réunion dans laquelle nous nous entasserons tous, les vendredis après-midi, pour le salut au drapeau. Mais pour l’instant, le coeur battant, je vais de ce pas me familiariser avec ma première salle de classe et avec ma première maîtresse, Mlle Aubertin.
C’est une vieille école. Une très vieille école même. Les escaliers en bois sont tellement usés que les marches se creusent d’un bon 3 centimèt.
Arrivés sur les lieux, on nous assigne un pupitre, encore une fois par ordre de grandeur, les plus petits à l’avant. Décidément… De plus je ne me sens pas du tout confortable ; le bureau et le siège surtout sont en bois, ça manque un peu de rembourrage. Ils sont montés tout d’une pièce, mais heureusement tout de même ajustables. Le dessus du pupitre proprement dit, qui date tellement qu’il y a encore un trou sur le dessus pour y insérer un encrier, s’ouvre entièrement question de pouvoir y déposer nos différents livres et cahiers. On nous met immédiatement en garde contre la procédure, très populaire chez certains élèves, de laisser tomber le couvercle dans un fracas épouvantable. De même, on nous demande de le refermer le plus rapidement possible étant donné qu’une fois grand ouvert, il nous cache aux yeux du professeur. Contrairement à l’effet recherché, ces deux directives nous seront très précieuses dans l’élaboration d’une multitude de mauvais coups ! Ce que semble deviner Mlle Aubertin, forte d’une longue expérience de l’enseignement si j’en juge par son âge déjà très avancé. Elle est sévère mais juste. Elle est aussi ce qu’on appelait à l’époque une vieille fille, acariâtre et un peu bourrue. Je suppose que c’est ce genre de personnalité qu’il faut pour ne pas se laisser trop attendrir par une bande de petits morveux fraîchement émoulus du cocon familial. Exit donc les douces consolations maternelles et bienvenu dans le monde de la compétition, des remontrances, des punitions mais aussi des récompenses, de l’orgueil et de la fierté.
Dès le premier jour, on nous met sérieusement au travail. On commence par les chiffres et les lettres. On est là pour ça, non ? Côté chiffres pas de problème, je me rends compte que je suis déjà pas mal en avance sur les autres. C’est que, pas fou, je me suis déjà entraîné. Je compte sans problème jusqu’à cent. Côté alphabet c’est un peu moins évident. Surtout lorsqu’on arrive à la lettre Q. Tout le monde sait que cela se prononce ‘’cul’’. Sauf que dans un fort accès de pudibonderie mal placé, on nous force à prononcer ‘’que’’. Là j’en perds un peu mon latin que je n’ai pas encore, mais bon, je me conforme. L’autre grande difficulté de la langue française avec laquelle j’éprouve un gros problème est la conjugaison des verbes au présent et à la deuxième personne du singulier. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi il faut ajouter un ‘’s’’. Ça ne me semble pas du tout logique. Je veux connaître le pourquoi de la chose. La seule réponse que j’obtiens c’est que c’est comme ça et c’est tout. Je répète tellement souvent cette même faute qu’un jour la maîtresse décide de le souligner devant toute la classe. Je deviens rouge de honte, ce qui se voit d’ailleurs facilement car je sens monter dans ma tête une chaleur intense qui colore mes oreilles déjà plutôt grandes d’une couleur écarlate, ce qui se reproduira encore souvent dans les prochaines années, à mon grand désarroi. Mais il faut croire que c’est la bonne méthode puisque depuis ce jour, je n’ai jamais refait cette même erreur. Heureusement, entre ces périodes de dur labeur, il y a la récréation.
Hélas, trois fois hélas. Cette cour d’école qui m’avait d’abord apparu si grande suffit à peine à contenir l’impressionnante horde d’écoliers qui y déferle maintenant. Par conséquent, nous sommes confinés, les premières et deuxièmes années, à ce que je considère comme l’arrière cour, c’est-à-dire une étroite bande d’asphalte qui longe la ruelle près de l’entrée arrière de l’école. Pendant que les grands jouent au ballon-chasseur, on se contente de faire les cent pas, de se tirailler ou au mieux de se lancer un mini-ballon un peu n’importe comment. Ce n’est pas juste ! À partir de ce moment-là, je n’ai plus qu’une envie c’est de passer au plus vite en troisième, pour aller jouer dans la cour des grands. Mais le temps c’est long, très long quand tu es petit.
Les semaines passent et je compte les jours qui me séparent de la fin de semaine. Seulement trois ou quatre représentent pour moi une éternité, alors qu’en fait c’est uniquement la perception du temps qui diffère selon l’âge. Plus j’avancerai dans la vie, plus je me rendrai compte que non seulement ça passe vite, mais de plus en plus vite à mesure que je vieillis. J’imagine que la nature est ainsi faite que l’impression d’avoir la vie devant soi est nécessaire à la planification de grands projets personnels tandis que de voir le temps filer à toute allure nous presse d’y arriver au plus vite. Mais ça, et heureusement d’ailleurs, il est impossible de l’imaginer à cinq, six ou sept ans. Le temps passe et c’est tout.
Après le premier mois nous recevons nos bulletins. Je sais déjà que je suis le meilleur. Je suis peut-être petit mais pas fou ! J’ai observé chez mes nouveaux amis toutes sortes de comportements : il y a ceux qui ont vraiment de la difficulté à comprendre, d’autres, indisciplinés, qui n’écoutent presque jamais et sont toujours réprimandés, d’autres encore qui sont studieux et dociles comme Constantineau et Bonaventure qui, malgré tous leurs efforts resteront d’éternels deuxièmes. Pour ma part, je me rends compte qu’un minimum d’attention en classe me dispense complètement d’étudier mes leçons à la maison. C’est simple j’arrive à presque tout retenir du premier coup. Un avantage considérable ! Cela me permet d’être premier de classe tous les mois, sans exception, durant toutes mes études au primaire et ce, sans forcer. La seule note discordante est mon manque de discipline, à l’occasion. Ces jeunes frondeurs assis à l’arrière ont l’air d’avoir tellement de plaisir à déconner que je ne peux m’empêcher de vouloir me joindre à eux. Je réussirai, mais à quel prix!
On a tous entendu parler de la ‘’strappe‘’, plus familièrement appelée la ‘’banane‘’, instrument de châtiment hautement redouté et symbole incontesté du pouvoir du directeur. Il nous arrivait de temps en temps d’entendre le fracas de cette masse de cuir s’abattre lourdement sur les mains de quelque infortuné dont le comportement, nous assurait-on, justifiait la punition. Nous les voyions ensuite passer, les mains écarlates et les yeux plein d’eau, ce qui renforçait, du moins pour un temps, son effet dissuasif. Mais ce ne sont pas tous les élèves qui réagissaient ainsi : certains crâneurs tel le grand Fuoco, des habitués du bureau du directeur, se vantaient de la subir sans broncher et allaient même jusqu’à faire circuler des légendes urbaines telle que celle de mettre un cheveu dans sa main de sorte qu’elle se mette à saigner dès les premiers coups faisant cesser ceux-ci sur le champ. Je n’ai jamais pu vérifier la chose de visu, la pire punition qui m’ait été infligée durant toutes ces années étant une simple retenue. J’ai appris très vite qu’avoir les meilleures notes procure certains avantages dont celui d’être, à priori, au-dessus de tout soupçon. Malheureusement, cela provoque aussi une série de désagréments tels que le rejet plus ou moins marqué des autres, constamment souligné par le sobriquet ‘’la bolle‘’, dont j’ai été victime et contre lequel je me suis battu durant des années.
Contrairement aux autres élèves doués et sages, qui ne pratiquaient pas de sports, ne se mêlaient pas aux autres et pouvaient déjà être qualifiés de rats de bibliothèques – aujourd’hui on dirait des ‘’nerds’’ -, j’ai tout mis en oeuvre pour me rapprocher et surtout me faire accepter des autres, quitte à subir certaines humiliations qui, en fin de compte, n’étaient pas vraiment pires que celles subies par tout un chacun. Les enfants sont cruels et chaque trait distinctif, si minime soit-il, est souligné sans retenue et devient la caractéristique propre et définitive de chacun : la taille, la grosseur, l’hygiène, la démarche, tout est prétexte à un surnom. Dans mon cas, la différence étant moins d’ordre physique qu’intellectuelle, on n’a jamais pu m’accoler un surnom sauf ‘’le brain‘’ mais on l’utilisait très rarement ; soit par gêne, par pudeur ou encore qu’il soulignait un certain fossé entre nous qu’on s’efforçait le plus souvent d’ignorer. Par contre, mes relations privilégiées avec mes maîtresses ont fait de moi la cible idéale pour le qualificatif assez évocateur de ‘’chouchou’’.
Cette étiquette m’a collé à la peau dès la deuxième année et ce, jusqu‘en cinquième. En première, soit que nous étions trop jeunes ou trop nouveaux pour en faire un plat ou soit, plus vraisemblablement, que Mlle Aubertin n’était absolument pas du genre à avoir ou même laisser soupçonner un tel penchant, alors qu’à partir de la sixième, ce sont des hommes qui formaient maintenant les jeunes hommes que nous devenions. Malgré les moqueries générales, il y avait beaucoup d’avantages à être chouchou. Comme celui d’aller faire les commissions, à l’extérieur ou à l’intérieur de l’école sur les heures de classe ou d’être chargé de la décoration de la classe durant les périodes des fêtes ou de Pâques. Mais le plus beau souvenir, celui qui a fait rager le reste de la classe pendant très longtemps, est cette fin de semaine passée chez Mlle Quintal, ma maîtresse de deuxième année.
Un peu plus tôt dans l’année, à mon grand désarroi, elle avait choisi ‘’Ti-Pierre‘’ Doré pour l’amener avec elle en week-end, justifiant ce choix par le fait qu’il demeurait tout près de l’école et la facilité d’obtenir rapidement la permission de ses parents, ayant décidé de la chose à la dernière minute, le vendredi après-midi. Elle avait toutefois pris soin de souligner qu’un autre élève se mériterait le même privilège plus tard, et que son choix n’aurait d’autre critère que son bon vouloir. Je m’étais juré que ce serait moi. Et ce le fut ! Je me souviens encore très bien de l’annonce qu’elle m’en fit, me demandant dans un premier temps de rester après la fin des cours. J’avais parfaitement deviné pourquoi et c’est sans surprise que j’accueillis son invitation. Elle sembla troublée de mon manque apparent d’enthousiasme au point de me demander si j’étais content.
• Bien sûr ! lui répondis-je, mais je le savais déjà.
Je n’ai jamais très bien compris pourquoi elle avait organisé ces deux sorties mais croyez-moi, je m’en foutais complètement. Une fin de semaine complète seul avec Mlle Quintal ! Le rêve ! D’autant plus qu’elle était plutôt jolie mais que surtout, d’après ‘’Ti-Pierre’’, son père possédait un bateau à deux moteurs ultra-rapide dont j’allais certainement faire l’essai. Après avoir obtenu l’approbation de mes parents, je me préparai fébrilement à partir. Le grand jour arriva enfin et je montai dans sa voiture dans un état d’excitation extrême.
Après un trajet d’environ une heure et demi, nous arrivons à une épicerie tenue par ses parents qui habitent juste au-dessus. À l’arrière, un grand terrain s’étend jusqu’à la rivière où est amarré le plus fabuleux de tous les bateaux que j’ai jamais vus. Un immense hors-bord avec, comme prévu, deux moteurs ! Je demande immédiatement à aller en faire un tour mais il est déjà trop tard. On me promet cependant d’acquiescer à ma requête dès le lendemain. En attendant, pour me consoler, on me permet de choisir des friandises à profusion à même les tablettes bien garnies de l’épicerie. C’est donc sur un léger mal de cœur que je m’endors, anticipant tout le plaisir de la ballade du lendemain.
Au réveil, le soleil brille déjà de tous ses feux et j’expédie le petit déjeuner en vitesse. Je mets mon maillot de bain et c’est parti pour le quai. C’est la première fois que je monte dans un bateau à moteur; en tous cas aussi puissant. Après un départ plutôt pépère, on se met à prendre de la vitesse. Wow! La sensation est vraiment grisante. Sauf qu’on va tellement vite que le vent dans mes yeux m’empêche de bien voir ce qui se passe. La première chose que je sais c’est qu’on est revenu au bord. Quoi déjà ? Finalement c’est bien, mais c’est à partir de ce moment-là que je comprends que l’anticipation est souvent plus excitante que l’exécution elle-même.
Comble de malchance, j’attrape sur les cuisses un des pires coups de soleil de ma vie. La promenade a dû être beaucoup plus longue que ce j’avais cru. Au coucher, Mlle Quintal est obligée de venir m’aider à enlever mon maillot de bain tellement la peau est sensible. Je ne pense pas qu’aucun des deux n’y prenne quelque pervers plaisir que ce soit, mais avouez que de se faire déculotter par sa maîtresse de deuxième année laisse un souvenir impérissable…
De retour à Montréal, je suis immédiatement devenu le centre d’attraction numéro un, non seulement de ma classe mais de presque toute l’école et j’en ai eu au moins pour une semaine à raconter mes péripéties jusqu’à ce que d’autres événements viennent remplacer celles-ci dans le tourbillon tumultueux du creuset de la formation de la vie, à la petite école.
Faisant partie de cet apprentissage, un des endroits qui nous inspirait autant de crainte, sinon plus, que le bureau du directeur c’était l’infirmerie. On y appréhendait l’odeur d’éther, la blancheur et l’aseptisation des lieux, la teinture d’iode brûlante sur nos plaies à vif, mais surtout les piqûres. J’ai d’ailleurs failli y être vacciné contre la polio, deux fois plutôt qu’une, l’infirmière de service n’arrivant pas à trouver sur mon bras gauche les marques distinctives de l’injection initiale que j’étais pourtant sûr d’avoir reçue, me fiant aux dires de ma mère. C’est que, contrairement à la majorité des enfants, la cicatrice ne se trouvait pas sur l’avant de l’épaule ou encore de mon avant-bras mais à l’arrière de celui-ci. Quel soulagement quand même quand on l’a finalement trouvée après deux examens infructueux. Par contre, comme tous les autres, je n’ai malheureusement pas échappé à cet autre vaccin contre la tuberculose qui nous fut administré en groupe sur l’estrade de la grande salle de réunion dont j’ai déjà parlé. Tous à la queue-leu-leu, on nous penchait vers l’avant, les mains bien appuyées sur une table pour nous graffigner le bas du dos de six petites lignes. Ce n’était pas tant la douleur elle-même, somme toute assez bénigne, qui nous mettait dans tous nos états mais bien l’anticipation de celle-ci; c’est exactement le même processus que dans le cas du plaisir, tel que je l’avais éprouvé dans l’attente de mon tour de bateau. Cette leçon en deux étapes, je ne l’ai jamais oubliée.
Toutes ces précautions médicales n’ont toutefois pu empêcher complètement la maladie de frapper. Au cours de cette deuxième année d’école j’ai en effet eu droit à un congé forcé ayant attrapé ce qu’on appelait alors la picotte et qu’on nomme aujourd’hui la varicelle. C’était une forme de la maladie moins virulente que la picotte volante, attrapée par mon frère Claude, bien que je n’en n’ai jamais très bien saisi la nuance. Quoiqu’il en soit, devant le risque élevé de contagion, je suis resté confiné à la maison quelques semaines, le temps de renouer avec la vie pré-scolaire telle que je l’avais connue quelques années auparavant. Malgré certains accès de fièvre, il était somme toute agréable de pouvoir me gaver de tout mon saoul de télévision et de lecture. Sans compter que tout le monde était particulièrement attentionné à mon égard surtout ma grande soeur Lorraine qui fut presque une deuxième mère pour moi.
Une fois qu’elle m’avait bien installé dans le fauteuil du salon, d’où j’écoutais avidement le père Ambroise à la télé, elle me servait des pommes de terre en rondelles grillées sur la plaque du poêle. Elle prenait soin de moi, me consolait, m’amusait. La plupart du temps, elle semblait plutôt sérieuse, réservée et studieuse ; sans compter qu’elle donnait un sacré coup de main à l’entretien de la maison. Tous les vendredis, je la voyais à quatre pattes en train de cirer le plancher pendant des heures. Moi qui avais déjà développé une aversion viscérale à toute forme de travaux manuels, je la trouvais extrêmement courageuse. Même chose pour papa et Paul-Émile qui, un jour, ont entrepris de remplacer le prélart du salon par de la tuile. Un travail beaucoup plus difficile et salissant qu’il n’y paraît aujourd’hui, les carreaux pré-encollés n’ayant pas encore été inventés. C’est donc sur une couche d’une espèce de goudron noir qu’on appliquait au pinceau, que les tuiles devaient être posées. Par ailleurs, on devait faire vite car cette glue séchait très rapidement. Au centre de la pièce, ça allait encore assez bien, mais au bord du mur et dans les coins où on devait faire du découpage c’était déjà moins évident. D’autant plus que la caisse de bière était déjà passablement entamée. De plus, au fur et à mesure, il fallait essuyer le surplus de colle qui avait tendance à sortir d’entre les tuiles et ce, sans les tacher. Finalement, le résultat fut tout de même des plus acceptables et tout le monde en était très fier. Les journées de maladie permettaient ainsi d’ajouter l’observation à la lecture et la télévision.
Le fait de rester à la maison à écouter la télévision et à lire jusqu’à plus-soif a peut-être été déterminant dans le développement de mon goût pour le théâtre; c’est dans cette même année que j’ai produit, joué et mis en scène mon premier spectacle. Il s’agissait de l’adaptation d’un court conte lu dans un des livres dont j’étais déjà très friand. J’avais choisi un court passage où deux personnages, un roi et son messager, échangeaient quelques propos. Je m’étais évidemment attribué le rôle du roi et choisi un de mes camarades de classe pour jouer le messager. Lorsque je proposai à la maîtresse de présenter la chose devant la classe, elle fut plus qu’impressionnée. Je m’attaquai donc à la mémorisation du texte pendant que maman, une excellente couturière, me fabriquait un costume de roi. En gros, c’était une espèce de robe, de djellaba noire tombant jusqu’aux pieds, brodée de fils dorés au cou, aux manches et dans le bas, un modèle repéré parmi les diverses illustrations de mode royale de différents ouvrages. C’était une superbe tenue et elle eut un effet bœuf auprès des autres élèves. Le sketch lui-même, par contre, peut être considéré comme une demi-échec. C’est que mon messager n’avait, soit pas assez bien appris son texte par cœur, soit était trop énervé pour s’en souvenir. Quoi qu’il en soit, après deux minutes de jeu, j’ai dû commencer à lui souffler son texte ! Heureusement que j’étais doté d’une bonne mémoire, au point de me souvenir du texte entier, sinon c’eut été un échec total ! Bien que le rythme en fût passablement perturbé, la pièce fut bien accueillie et ces premiers applaudissements m’ont grandement encouragé à persévérer.
Par la suite et pendant des années, j’ai monté, dans la cour arrière de chez nous, plusieurs spectacles que l’on appelait des séances. J’écrivais des scénarios copiés en partie sur les films que je voyais à la télévision en m’attribuant, bien sûr, toujours le rôle principal. J’engageais quelques amis ainsi que mon frère Claude, et, après quelques répétitions, nous présentions la chose au grand public, c’est à dire tous les autres ti-culs, gars et filles, du quartier. Maman continuait à confectionner les costumes, je m’occupais des décors, de la publicité ainsi que de la caisse. Au début, je me demande encore pourquoi, le prix d’entrée était de 2 ou 3 épingles à linge mais je me rendis compte très rapidement que l’argent sonnant, quoi qu’on en dise, a bien meilleure odeur. J’ai donc fixé le prix d’entrée à plus ou moins 5 cents ce qui, après avoir payé les autres acteurs, me laissait un profit assez intéressant car, à ma grande satisfaction, ces représentations étaient très populaires. Je me souviens particulièrement de celle de
‘’Spaceman‘’, basée sur le film du même nom.
J’ai un trac fou. La cour est pleine, on a même dû loger des spectateurs dans l’escalier qui même au deuxième chez les Charbonneau, eux-mêmes installés sur leur balcon qui surplombe ma cour; une sorte de loge, quoi! J’ai d’ailleurs eu toutes les misères du monde à les faire payer étant donné qu’ils soutiennent qu’ils sont chez eux et qu’ils n’ont pas à débourser pour s’installer sur leur galerie. On en est arrivé à un compromis et ils m’ont quand même allongé quelques sous. Maintenant, ce qui m’inquiète le plus c’est la présence de l’aîné de leur famille, Claude. Il est beaucoup plus âgé que nous tous et traîne une réputation de fauteur de troubles. La pièce n’est pas encore commencée que déjà il déride le public avec des remarques sarcastiques sur les décors. Il va falloir vraiment se surpasser pour assainir cette atmosphère de dérision et les captiver par le contenu. Mon scénario, ma mise en scène et notre jeu seront-ils à la hauteur? Les quelques répétitions se sont déroulées couci-couça et je sens les acteurs encore plus nerveux que moi. Mon personnage doit effectuer plusieurs changements de costumes, passant d’une tenue de ville à son accoutrement de super-héros, à l’intérieur d’un minuscule réduit aménagé sous les escaliers et protégé des regards par quelques draps accrochés aux poutres. Ces vas et viens incessants briseront-ils le rythme? Donneront-ils aux crâneurs l’occasion de nous railler? Toutes ces questions défilent à une vitesse folle dans ma tête alors que tout à coup résonnent les douze coups fatidiques annonçant enfin notre entrée en scène. Advienne que pourra!
Contre toute attente, le début de la séance se passe relativement bien. Je sens les gens attentifs et intéressés. Mais dès le premier changement de costume, notre trouble-fête entre en action.
• Spaceman en combines! lance-t-il.
Il est vrai que mon déguisement, si amoureusement confectionné par maman, est fait de sous-vêtements recyclés. Il est blanc des pieds à la tête avec sur cette dernière une sorte de capuchon surmonté d’une petite antenne verte. Malgré toute notre bonne volonté, il est apparemment impossible d’en camoufler la provenance. Qu’à cela ne tienne;! Je fais fi de l’impertinente remarque et redouble d’application dans mon jeu, la seule chose sur laquelle j’ai dorénavant le contrôle. Cela semble avoir un effet d’entraînement sur les autres acteurs. Tellement que lors d’une scène de bagarre consciencieusement chorégraphiée à l’avance, quelle n’est pas ma surprise de voir mon frère Claude me saisir à bras le corps et d’une façon pas du tout feinte. Cela ajoute beaucoup de réalisme à la bataille mais j’ai toutes les misères du monde à me défaire de son emprise. Les autres sont conscients de ce qui se passe et on sent un léger flottement dans l’air. J’ai finalement le dessus, les méchants s’enfuient et tout rentre dans l’ordre. Le spectacle se déroule rondement, les spectateurs semblent ravis et nous avons définitivement cloué le bec du grand escogriffe. Après la scène finale, où je m’envole vers les cieux en saluant la foule, les applaudissements nourris confirment que nous avons gagné. Je remarque que même le grand Charbonneau tape des mains. C’est la plus belle victoire que l’on puisse imaginer…
© SHP et Pierre Prévost, 2020.
L’école de mon enfance.
Quelle belle petite histoire qui me rappelle mon école de campagne, école qui était mixte et à plusieurs niveaux du primaire jusqu’à la 4ième année dans la même salle.
Félicitations Pierre
Salut bel homme,
J’aime beaucoup ce que tu as écrit, tu as vraiment du talent pour l’écriture.
On voyage dans tes pensées, ton histoire et nos souvenirs en même temps. J’apprends à découvrir des choses que je ne connaissais pas de toi. J’imagine parfaitement le petit garçon blond que tu étais aux yeux en amande avec ton air fonceur qui sait ce qu’il veut. Mignon et charmeur pour obtenir ce qu’il veut. Oui oui c’est bien comme ça que je t’imagine hihihi!
Je ne savais pas que comme moi, tu avais en toi un côté artistique.
J’ai vraiment hâte de lire la suite de ton histoire
C’est en France dans les années 50 que c’est déroulée ma scolarité en école primaire mixte et en lisant le texte de Pierre j’ai fait immédiatement un parallèle heureux et un grand retour en arrière.
Cela m’a ramené dans mon école “Berthe” à La Seyne-sur-mer avec les mêmes émotions; les mêmes cours et les mêmes jeux pendant nos récréations.
On n’y connaissait pas la “strappe” mais la calotte à main plate donnée par notre directeur derrière la tête si on était trop dissipé. Je sais qu’aujourd’hui cela passerait mal.
Pourtant je n’ai aucune animosité envers ce grand monsieur, bien au contraire de la reconnaissance, car je lui dois beaucoup pour l’orientation de mes études. Je trouve que nous avons eu beaucoup de chance d’avoir rencontré un homme ayant un tel ascendant que je ne l’oublierais jamais.
Et puis ses 2 filles étaient si jolies…
Bravo Pierre, on se laisse facilement emporter par ton écriture!!!