Mes souvenirs du Patro 2/6
Les premières années
J’ai commencé à fréquenter le centre à l’âge de sept ou huit ans et uniquement pour la période d’été. La structure organisationnelle d’alors était très différente de celle décrite plus haut. Il n’y avait qu’une seule section, divisée en cinq groupes d’âges identifiés par des écussons de couleur que nous devions coudre sur la manche d’un de nos vêtements : les oisillons, les résolus, les tenaces, les ardents et les preux. Je me souviens des rassemblements dans la cour, tous en rangs selon notre grade, où fusaient les cris de ralliements que les frères nous encourageaient à émettre le plus fort possible. On aurait dit une armée prête au combat.
Je détestais cette discipline. Elle était probablement nécessaire, au même titre que l’encadrement strict que l’on subissait à l’école, mais je n’ai jamais pu m’y faire. Même aujourd’hui, je comprends mal l’exaltation qui s’empare des gens lorsque tous unis d’une même voix, ils entonnent ces chants guerriers, transportés par une frénésie contagieuse d’autant plus grande qu’ils sont nombreux. Cela fait bien sûr appel à la psychologie des foules, mais je me suis toujours personnellement senti complètement isolé à l’intérieur de celles-ci, lorsque qu’elles se mettent soudainement en ce mode. Malgré cette dissonance, j’apprécie que l’on puisse librement exprimer son opinion en groupe, mais beaucoup moins que l’on utilise le groupe pour faire passer les siennes…
Malgré cet enrégimentement, j’y trouvais assez d’avantages pour y rester au moins un été. J’y ai appris les règles de base des jeux de balles, la camaraderie dans le sport et la compétition, malheureusement parfois féroce, au-delà des règles élémentaires du savoir-vivre.
Lorsqu’il pleuvait, on se retrouvait tous dans le gymnase, les grands comme les petits, pour jouer. Cette fois-là c’était au gouret de salon. Je n’aimais pas beaucoup ce jeu, qui avait très mauvaise réputation, mais bon, comme il n’y avait rien d’autre à faire, je décidai de participer. J’étais assez maladroit avec le bâton et encore plus avec la saucisse, les rares fois où je parvenais à y toucher. J’avais aussi la mauvaise habitude de garder la tête basse, les yeux rivés dessus. À cette époque, le gymnase n’avait pas encore été rénové. Il y avait plusieurs colonnes qu’il fallait éviter en cours de jeu. Pour couronner le tout, les plus vieux jouaient d’une façon très rude, particulièrement un de mes opposants dont le nom m’échappe, et que tout le monde semblait éviter comme la peste.
Après quelques minutes de jeu où rien de particulier ne se passe, je reçois enfin la saucisse. Tout content, je me mets à courir vers le but adverse. Je n’ai jamais vu venir la brute du camp adverse. J’ai seulement senti un coup de bâton dans le dos. J’ai perdu l’équilibre. Tout le reste m’a semblé se dérouler au ralenti. J’ai vu venir la colonne de ciment vers moi. J’ai instinctivement penché la tête. Puis, le choc. J’ai alors véritablement compris l’expression ‘’voir trente-six chandelles’’. J’ignore combien de temps je suis resté inconscient. Je me souviens m’être réveillé entouré des autres qui me demandaient comment ça allait. Je me suis péniblement relevé. Je sentais ma tête fragile. Mais pour autant que je sache, je n’avais rien de cassé. Bien sûr, j’avais subi une commotion cérébrale. Mais à l’époque, je n’en ai pas eu conscience. De toutes façons, à cette époque pré-assurance-maladie, on ne se déplaçait pas à l’hôpital pour si peu. Il fallait vraiment être malade…
Par la suite, je n’ai plus joué à ce jeu jusqu’au CEGEP. En général, les mauvaises expériences me marquent pour longtemps… Mais cela ne me découragea nullement de fréquenter le Patro et de participer aux autres activités, ma préférée étant, et de loin, la fête foraine.
À chaque année, dans la vaste cour, on préparait une série de jeux d’adresse auxquels tout le monde pouvait s’essayer et ce, tout à fait gratuitement. C’était beaucoup mieux que le parc Belmont ! On récompensait les meilleurs par des friandises, c’est-à-dire des chips, de la liqueur, du chocolat, etc. Je trouvais certaines épreuves particulièrement faciles, par exemple celle de grimper tout en haut d’un poteau de métal. Des années d’entraînement dans la ruelle me permettaient de le faire en un temps record, sous le regard ébahi des moniteurs et des autres garçons, qui ne cachaient pas leur admiration.
Une autre de mes activités favorites était la course aux trésors. Dans la même cour, on cachait un peu partout une cinquantaine de dollars en pièce de monnaie qu’il suffisait de bien chercher pour découvrir. À ce jeu, je n’ai malheureusement jamais que récolté quelques sous noirs, regardant avec envie les chanceux qui avaient découvert des vingt-cinq cents, sinon cinquante ou encore, chance suprême, un beau dollar en argent tout neuf. J’en avais déjà vu certes, ceux avec le beau canot dessus, puisque papa en avait quelques-uns dans sa collection, mais ils étaient relativement rares et pas du tout d’usage courant.
Entre ces activités spéciales, il y avait plein de jeux dont le principal était la balle-molle. Je me souviens de ma toute première apparition au bâton. Bien sûr j’avais déjà joué dans la cour d’école, mais c’était la première fois que je me présentais à un vrai marbre, avec un vrai lanceur sur un vrai monticule. Enfin pas tout à fait un vrai lanceur puisque c’était un des religieux, en soutane, qui agissait comme tel. J’étais terriblement nerveux. Le bâton semblait peser une tonne. Dès le premier lancer, j’essaie de frapper. Dans le beurre ! Ça commence mal ! Je me calme et laisse passer le deuxième. Balle. Je me dis dans ma tête que peu importe le prochain, je m’élance. Tak ! Je n’ai rien vu, mais j’entends distinctement le bruit du bâton sur la balle. Je l’ai eue ! Alors que je me demande où la balle a bien pu aboutir, j’aperçois le pauvre lanceur grimaçant qui se frotte la jambe, quittant le monticule en boitant. J’ai blessé le frère ! J’en reste paralysé. Plus personne ne bouge. Tout le monde est sur le qui-vive. Jusqu’à ce qu’il nous rassure par un ‘’Ça va !’’ réconfortant. Tout à coup, je réalise que je suis encore au marbre, et que la balle repose tranquillement à l’avant-champ, entre le monticule et l’arrêt-court. À ce que je sache, le jeu n’a jamais été officiellement arrêté ! Je dépose vivement mon bâton et me met à courir le plus vite possible vers le premier but. L’équipe adverse ne tarde pas elle aussi à réagir. En moins de deux, la balle est aussi dirigée vers le but.
Nous arrivons à peu près en même temps, bien que je sois certain d’avoir devancé le lancer. Nous réalisons tout de suite que nous avons un gros problème : non seulement le religieux agissait-il comme lanceur, mais il était aussi arbitre au premier ! Occupé à soigner sa jambe, il n’avait rien vu du jeu. Après quelques discussions qui ne réussirent pas à nous départager, il fut convenu d’annuler toute l’affaire. Je retournai donc au marbre avec un compte d’une balle, une prise et le jeu pouvait reprendre. Malheureusement, probablement déconcentré par les événements, je suis retiré sur des prises. Mais c’était quand même moins pire que le frère, qui lui boitât pendant au moins une bonne semaine…
Parallèlement au sport, nous étions tenus à diverses manifestations religieuses. Après tout, la direction du centre était entièrement assurée par des religieux, non ? Il y avait bien sûr la messe du dimanche, célébrée dans une petite chapelle du deuxième étage. Il y avait aussi les prières, que nous devions réciter en groupe à divers moments de la journée. Mais surtout, toute l’atmosphère était imprégnée de cette aura de spiritualité, dont les icônes en rappelaient l’importance, bien en vue partout dans la place : crucifix, images saintes, prières, ornaient les murs un peu partout. Ce qui, tout bien considéré, n’était pas forcément une mauvaise chose.
La religion, telle qu’elle nous était présentée au Patro, relevait beaucoup plus d’une façon de vivre, que d’une série de règles strictes telle qu’elle nous était présentée à l’école. Ici, on apprenait tant bien que mal à faire la distinction, justement, entre les deux. Ne pas frapper ou voler son voisin, avoir un langage plus châtié, coopérer entre nous, etc. Des valeurs très nobles, d’un point de vue strictement humain, qui, grâce au concours de circonstances, nous étaient révélées par des religieux, d’une façon concrète et facilement assimilable. Et Dieu sait que dans ce quartier, nous en avions grand besoin !
Si vous désirez de plus amples informations:
– rejoignez la page Facebook du groupe des anciens du Patro Le Prévost
– ou bien, consultez le site du Patro Villeray qui a pris la suite,
– rien ne vous empêche également, d’ajouter vos propres commentaires et souvenirs ci-dessous.
Références et sources
© SHP et Pierre Prévost, 2021.
Très intéressant Pierre.
J’aime bien te lire; c’est le fun devoir un peu de ce que tu fais à la retraite.
Hâte de voir les prochaines épisodes.
J’adore ta façon de raconter les choses avec ton p’tit côté humoristique qui me plaît beaucoup. De beaux souvenirs de jeunesse me reviennent facilement en tête. Le temps où je fréquentais le Patro a été pour moi des moments très heureux. J’ai très hâte de lire la suite de ton histoire.
Merci Pierre Prevost pour ce texte très intéressant sur le Patro des années 60.
C’est à lire!
Beaux témoignages et belle écriture!!!
J’adore ton style d’écriture, imagé, vif et efficace! Je plonge dans ton passé avec en tête les projections de toi à cet âge. J’ai même dû me référer au dictionnaire pour vérifier le bon usage de châtier dont j’ignorais le sens figuré équivalent à « plus correct, plus pur ».
C’est vraiment un privilège de pouvoir partager ce pan de ta vie si différent de ce que j’ai personnellement vécu dans ma banlieue campagno-industrielle de Québec presque dix ans plus tard! L’impact religieux avait commencé à faiblir et mon milieu communautaire était majoritairement centré sur mon voisinage, bordé par le fleuve Saint-Laurent d’un côté et un cap immensément long de l’autre, image très courante pour les résidents des bas plateaux de Québec à proximité de l’île d’Orléans.
J’ai hâte de relire la suite même si je n’en suis pas à ma première lecture de tes péripéties. Ça fait tellement de bien de faire un saut dans le temps et de replonger également dans mes propres souvenirs!
La pandémie nous vole bien des plaisirs, mais pas celui-là!