Le premier supermarché Métro du quartier
Il y avait seulement deux supermarchés dans le coin : le Steinberg sur l’avenue du Parc – aussi bien dire à l’autre bout du monde -, et le Napoli Métro sur la rue Bernard côté nord, à l’ouest de la ruelle. L’épicerie Napoli est devenue un supermarché Métro lors de la création de ceux-ci dans les années soixante. Auparavant, question supermarchés, il n’y avait que les Steinberg’s et les Dominion. Le lancement de la nouvelle chaîne d’alimentation, qui tablait beaucoup sur son caractère francophone pure laine, – en opposition au côté juif des Steinberg – ainsi que son atmosphère plus intime que les Dominion, était accompagné d’une campagne publicitaire agressive à la radio et à la télévision naissante, et était centrée sur une petite ritournelle chantée qui allait comme suit :
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C’est donc ainsi qu’est né le premier Métro du quartier. Malgré tout, les propriétaires, qui étaient Italiens, conservaient un vaste choix de produits dits ethniques pour satisfaire cette clientèle naissante. Mais quelle ne fut pas ma surprise la première fois où, au téléphone, j’entendis la sympathique caissière répondre ‘’Napoli Métro, bonjour ‘’ au lieu de l’habituel ‘’Napoli, bonjour ! ‘’ . Une page d’histoire s’écrivait, les autres petits commerces du quartier s’inclinant tour à tour devant ces nouveaux géants et, éventuellement, fermant presque tous leurs portes.
Ce fut le cas de la quincaillerie, que l’on appelait la « Ferronnerie », située juste sur le coin sud-est de Waverly et Bernard qui dû se résigner à la faillite quelques mois après l’ouverture d’un immense Pascal sur l’avenue du Parc. Je crois qu’à l’époque on disait que c‘était le plus gros magasin du genre dans la province. En tout cas une des seules fois où j’y suis allé, pour me procurer des clous de douze pouces afin de me construire une ‘’barouette‘’, j’ai erré là-dedans une bonne grosse demi-heure avant de trouver un vendeur disponible et intéressé à renseigner un pauvre ‘’ti-cul‘’ comme moi. Comme quoi il y a des choses qui ne changent pas tellement…
La situation était évidemment toute autre dans les petites boutiques souvent familiales de la rue Bernard. Ici on vous accueillait par votre nom et le geste même d’acheter n’était souvent que prétexte à une bonne conversation. Combien de fois ai-je vu ces hommes désœuvrés s’attarder chez Donat en sirotant un Coke et en dissertant, qui sur l’actualité, qui sur le Canadien pendant des heures ? Ou encore ces délicieuses tranches de viande fumée ou de salami dont me gratifiait généreusement M. Goldberg lui-même à chacune de nos visites dans sa boucherie ‘’Kosher‘’ à deux pas de chez Donat. Mon dieu que j’aimais y aller ! C’est peut-être même la source de mon goût prononcé, aujourd’hui, pour ces deux types de charcuteries.
Sur le même côté de la rue Bernard, donc à notre portée, il y avait aussi un magasin que l’on appelait affectueusement ‘’ Le petit Juif ‘’. M. Sauvé, qui était le concierge de l’école des filles juste en face de chez nous et qui habitait au sous-sol avec sa famille, m’envoyait souvent lui acheter une petite bière. Il me donnait toujours une bouteille vide dans un sac en papier brun et je lui en ramenais une pleine, dans le même sac. Il avait toujours l’air de faire ça en cachette, sous des airs mystérieux. Mais comme il était assez leste côté pourboire, il pouvait compter sur moi côté discrétion. Mais ’’ Le petit Juif ‘’ ne vendait pas seulement de la bière.
L’année où on a planté un jardin à Val des Lacs, haut lieu de notre résidence d’été grâce à un chalet acheté quelque part dans les années soixante, tous les germes de pomme de terre qui furent semés provenait de chez lui. Même que mon père et le cultivateur local qui était venu retourner la terre avec cheval et charrue en étaient complètement ébahis. Moi je pense que si les germes étaient si beaux c’est que les patates avaient le temps de vieillir dans les caisses à l’intérieur même du magasin ! C’était un véritable souk là-dedans ! Des boîtes en bois contenant toutes sortes de denrées empilées n’importe comment à même le plancher, des étagères poussiéreuses bref un bric-à-brac inimaginable au milieu duquel trônait le petit Juif lui-même, l’archétype parfait de ce que son nom suggère : petit, chauve, toujours habillé de la même façon sobre et sombre, calotte ronde sur la tête, un air rusé et toujours prêt à marchander. Un petit détail le rendait encore plus singulier : une tache de vin ornait son crâne dégarni et une partie de son visage. Sans aller jusqu’à dire qu’il nous faisait peur, disons que nous ne l’avons jamais défié comme cela est arrivé souvent avec d’autres. Le dernier commerce de cette rue dont je me souvienne clairement est la pharmacie jouxtant Napoli, située au coin de l’avenue de l’Esplanade. Encore une fois, très peu intéressante pour les gamins que nous étions. Nous ne nous aventurions que très rarement sur la rue Van Horne à l’extrémité nord du quadrilatère. Premièrement parce que cela nous semblait à l’autre bout du monde et deuxièmement il y régnait une atmosphère déprimante et un peu sordide. Le grand bâtiment de la ‘Van Horne Warehouse‘’ (toujours là de nos jours) y occupait toute la face nord de la rue. Au sud, il y avait bien un petit dépanneur coin Waverly mais il était sombre et bien peu invitant. Toute l’activité était donc concentrée rue Bernard, et quelle activité !
Cette grande artère était littéralement surplombée d’un rideau de métal électrifié servant de source d’énergie aux trolleybus qui y circulaient. Ces drôles d’autobus jaunes possédaient deux longs bras télescopiques à l’arrière qui rejoignaient les fils au-dessus. Il arrivait assez fréquemment que les bras sortent de leur ancrage, surtout dans les virages, et que le conducteur doive sortir pour les remettre en place. La ligne qui passait près de chez nous était le 26 Beaubien qui amenait le voyageur jusque dans le quartier de la Petite Patrie. Bien sûr il y avait déjà des autobus à essence destinés à remplacer ces antiquités, ce qu’elles firent assez rapidement pour que dès mon entrée à l’école, les autobus électriques avaient presque disparu sur le territoire montréalais. Le 26 Beaubien fut une des dernières à être mis au rancart. Il est assez ironique de constater qu’à notre époque de prise de conscience écologique, un mouvement de retour aux énergies propres, dont l’électricité, préconise le retour des tramways…
Très bel article qui nous replonge en arrière et qui permet de revivre quelques pages marquantes de notre histoire!
Merci mon amour et j’ai hâte de lire la suite!
C’est vraiment bon, tous ces bons souvenirs d’enfance qui reviennent constamment tout au long de cette lecture me font du bien, c’est peut-être mon p’tit coté nostalgique qui refait surface?. Continue ton beau travail, j’aime beaucoup ce que tu écris.
Prends bien soin de toi, amicalement Nicole gros câlin ti bisou xxx?
Très bien écrit Pierre. Que de souvenirs !!!!
Allô, bravo pour ce très bel article. quelle mémoire tu as! J’ai lu tout cela avec beaucoup de plaisir,
Bonjour Pierre,
C’est très vrai ce que tu disais concernant la rue Bernard c’était soit le « marché Napoli » soit « chez Donat ».
Par contre entre le Napoli et Donat sur le coin de la ruelle il y avait le blanchisseur chinois qui s’appelait Charles Foon.
Souviens-toi, le petit juif, nous on l’avait surnommé la (belle ronde).
Et pour terminer, la pharmacie au coin des rues Esplanade et Bernard s’appelait la pharmacie Podlog’s et enfin tous tes commentaires étaient très pertinents.
Merci pour tous ces bons souvenirs.
Bonjour José,
Merci beaucoup pour votre commentaire.
Il y avait en effet un blanchisseur chinois sur le coin de la ruelle.
Dans la pharmacie je me souviens aussi tout à coup d’une immense machine à tester les tubes. Pour ceux qui s’en rappellent encore, à l’époque, les téléviseurs fonctionnaient avec des tubes qu’il fallait remplacer de temps en temps.
Merci encore!
Il y avait un Steinberg au coin des rues de Bordeaux et Mont Royal, dans les années 50.
Il y avait l’épicerie Mailhot angle des rues Mont-Royal et Parthenais, côté nord. Côté sud il avait Le Palace, genre cabaret. Il avait aussi la Pharmacie Roberge pas très loin sur l’avenue du Mont-Royal, ma mère et mes frères ont même travaillé pour cette pharmacie.