Scène de rue 8. Le dernier arrivé est un…
Dans laquelle les garçons font la course pour savoir qui est le plus rapide.
Paul-Émile se fait avoir
Paul-Émile a grandi, il n’a plus besoin de personne pour se balancer et le fait savoir. En plus, ce n’est plus lui le bébé de la famille !
C’est à son tour de retenir l’attention du ou de la photographe, d’autant qu’il a du caractère.
Paul-Émile, qui ne lâche pas la balançoire, attend son heure. Quand ses frères finissent par quitter le balcon, il se dépêche de mettre le grappin sur le super engin de course convoité par tous.
La rutilante voiture bondit et atterrit dans la cour arrière, un carré de terre battue entouré de planches. Paul-Émile fait un dérapage contrôlé, mais il est freiné par le retour impromptu de Roger. Agrippé au volent, le petit tient bon. Son frère lui fait des promesses, en échange d’un tour de voiture, il lui laissera son couvre-chef, le mot que Roger utilise pour l’appâter.
Paul-Émile finit par céder, et perd tout. Roger, qui a repris son chapeau, ne veut plus lui redonner le bolide et fanfaronne, nananère ! Si c’est comme ça… Changement de tactique, Paul-Émile traverse la maison en coup de vent et sort par la porte d’en avant.
Une fille Leduc
Après trois garçons, Agnès a donné naissance à une fille, son petit rayon de soleil. Pendant que les garçons jouent dans la cour en arrière, Agnès a sorti Madeleine sur le balcon et se berce à ses côtés, le temps d’une photo. Le calme ne dure jamais. Paul-Émile passe en trombe, dévale les escaliers, saute sur sa draisienne et prend la fuite par la grand’route.
Paul-Émile se sauve en draisienne
En toile de fond, derrière le jeune fuyard, la rue Fabre qui se prolonge vers le nord jusqu’à des wagons de train (hé oui !). À gauche de Paul-Émile, les voisines et leur petit frère, trio qu’on a vu sur une photo prise un an auparavant (voir Scène de rue 6).
Madeleine pleurniche et rechigne, la petite veut jouer dans la rue comme tout le monde. Le soleil plombe, la ville a planté quelques chicots, mais pour la fraîcheur, il faudra attendre quelques décennies. Agnès descend la poussette à deux roues sur le trottoir et place sa fille à l’ombre des maisons.À la droite de Madeleine, des voitures qui circulent, au-dessus de sa tête, une dentelle de balcons, à l’horizon, quelques wagons. Gérard et Roger débarquent à leur tour et, chacun sur son véhicule, partent à la poursuite de Paul-Émile. Madeleine sourit de bonheur, heureuse de se retrouver au cœur de l’action.
La loi du plus fort
Les frères Leduc font fi de la chaleur, de la poussière et des voitures. Roger, dont les jambes ont allongé depuis un an, y va de toutes ses forces sur le pédalier du tricycle. Il roule à pleine vapeur, dépasse Paul-Émile, le voilà en tête ! Mais Gérard, qui a l’avantage de la vitesse sur sa trottinette, le double…
Pour les expéditions, les petits Leduc ont l’embarras du choix, le quartier regorge de merveilles : la carrière Martineau, le quartier industriel, la voie ferrée… Aujourd’hui, c’est au premier qui arrivera à la cour ferroviaire. Comme de raison, Paul-Émile, sur sa draisienne, arrive bon dernier… La moue aux lèvres, il ravale. Il n’a pas dit son dernier mot, un jour, quand il sera grand, c’est lui qui sera le plus rapide des trois !
L’objectif au nord
Les triplex qui se trouvent à droite du petit Paul-Émile sur la photo 10 existent toujours. Ils servent de toile de fond sur certaines photos de la Scène de rue 6, nous sommes bel et bien sur la rue Fabre !
À l’époque, aucune construction n’obstruait la vue jusqu’à la cour ferroviaire, le décor quotidien des petits Leduc comprenait donc des wagons de train.
Le ou la photographe a suivi les enfants dans leur déplacement jusqu’à la rue Saint-Grégoire. Sur les photos 10 et de 12 à 17, la caméra reste pointée vers le nord.
Près d’la track
Pour mieux comprendre le topo, élevons-nous à vol d’oiseau. Une photo des Archives de la ville de Montréal qui date de cette époque (véritable bénédiction pour mes recherches !) donne une vue générale du quartier où évoluent les petits Leduc. Leur maison se trouve dans la partie résidentielle à gauche, en bordure de la photo.
La voie ferrée longe l’axe est-ouest de la ville. Au nord, une carrière désaffectée avec d’immenses cratères au fond desquels se sont formés des lacs. À l’est de l’avenue Papineau, une zone industrielle. Au bout de Fabre, à la rue Saint-Grégoire, le paysage change du tout au tout. La carte de Goad contient peu d’informations sur les lieux. Les éléments du décor derrière les petits Leduc, terrains vacants, bâtiments industriels, wagons de train, sont également visibles sur la photo aérienne de 1925.L’intersection Fabre et Saint-Grégoire. Goad, 1920, vol. V, pl. 348. Le profil d’œil sur le montage indique l’orientation de la caméra. Les numéros de 13 à 17 correspondent à la position des sujets sur les photos ci-haut. Détails de la vue aérienne de 1925 (encadré jaune ci-dessus) et de la photo 17, vers 1924.
Les photos de Marie-Ange sont des témoins uniques de la vie quotidienne dans ce secteur de Laurier Est, il y a un siècle. Un quartier mixte, en pleine transformation, entre le résidentiel et l’industriel, et dans lequel les enfants couraient partout.
Dans la Scène de rue suivante, la zone industrielle se profile derrière Paul-Émile (voir Scène de rue 9).
Table des matières- Références et sources
© SHP et Dominique Nantel Bergeron, 2023.
La photo 10 nous présente une étonnante photo en contre-plongée. Pour la réussir, Marie-Ange se serait-elle aplatie sur le trottoir de la rue Fabre ?
Plusieurs caméras à l’époque avaient le viseur situé sur le dessus de l’appareil, ce qui facilitait ce genre de prise de vue.
Oui, tout à fait ! J’ignore si votre hypothèse est compatible avec la supposition suivante… Comme vous le verrez, dans la Scène de rue 11, basé sur la forme et la taille d’un étui d’appareil photo que transporte le petit Maurice (le fils ainé de Marie-Ange), j’ai déduit que l’appareil qu’elle utilise est peut-être une Caméra Brownie de Kodak. J’ignore où se trouve le viseur sur ce genre d’appareil.
Vous trouverez tout pour votre petit bonheur au sujet de l’appareil Brownie N° 10.
https://en.wikipedia.org/wiki/Kodak_Brownie#/media/File:Kodak_Brownie_2A,_Model_A.jpg
L’objectif était à l’avant et le viseur tout à fait au-dessus comme vous pourrez le constater sur la photo.
Merci à vous!
La maison existe toujours. Les arbres ont grandis. Très beau témoignage.
Merci! On ne voit plus les wagons de train, de nouveaux immeubles se sont construits. Le paysage industriel a cédé la place aux petites familles dans le quartier.
Voiturette à pédales
De voir Paul-Émile pédaler gaillardement dans sa voiturette à pédales, me fait souvenir d’un camion à peu près du même tonneau, retrouvé tout couvert de poussière dans la cave de Chantal une amie québécoise, qu’elle conservait en souvenir de son papa.
Ah, les vieux jouets!
Que de beaux souvenirs !
Que de belles photos d’époque du Plateau avec une belle représentation et bien expliquée. Il est rare de voir autant de souvenirs photographiques de l’époque ainsi préservés par la famille.
Merci beaucoup! Oui, j’ai eu cette chance d’avoir des ancêtres – dans le cas présent, ma grand-mère paternelle – qui gardaient les photos et documents. Dans le cas de Marie-Ange, que j’ai côtoyée durant 35 ans, je n’ai su que l’année dernière qu’elle avait laissé ce trésor derrière elle !
Était-ce le légendaire « nouveau coupé Ford » que l’on peut voir derrière Paul-Émile sur la photo 10 ?
Très semblable en tout cas, bien vu!
Je n’ai plus de mots…bravo
Merci, merci Suzanne!