Premier emploi
Dimanche 22 mai 1959 un feu se déclarait au-dessus du magasin Larivière et Leblanc dans une salle de jeu de quilles et qui heureusement a pu être rapidement jugulé par les pompiers du service incendie, ce qui a permis au magasin de reprendre très vite ses activités (note SHP).
En 1960, à quatorze ans, je commençai à travailler chez Larivière et Leblanc, 5, 10, 15 cents, un magasin bon marché d’un étage, situé sur la rue Mont-Royal, à l’angle sud-ouest de Papineau. Il concurrençait les géants comme Woolworth et Kresge.
On y vendait des articles variés : accessoires de mode pour femmes et hommes, produits de beauté, vaisselle, quincaillerie, petits objets décoratifs, jouets et fournitures diverses. Du côté est se trouvait un comptoir de restauration rapide, appelé à l’époque snack bar. On servait des hot-dogs, hamburgers, sandwiches et club sandwiches réputés accompagnés de frites et toute une panoplie de desserts. Comme breuvages, des boissons gazeuses, thé et café.
Ce commerce n’offrait aucun luxe. De simples présentoirs en bois et des planchers non vernis qui supportaient la poussière l’été et la neige l’hiver. On ne décorait pas beaucoup non plus.
Je fréquentais encore l’école alors je travaillais le jeudi soir, vendredi soir et samedi selon les besoins. Mon maigre salaire était partagé en deux : la moitié pour ma mère et l’autre moitié devenait mon argent de poche à ma grande satisfaction.
Le premier département que je desservis fut celui des chapeaux pour dames, très populaire. Je disais à toutes : « Il vous va très bien, Madame. » Je me sentais complètement ridicule. En ce temps-là, presque tous les Québécois fréquentaient l’église et les femmes devaient porter un chapeau ou un foulard sur la tête avant d’entrer. Par contre, on demandait aux hommes de se découvrir. Chercher l’erreur ?
Plus tard on m’affecta au rayon de la quincaillerie. Il fallait compter individuellement les clous, les vis, les attaches et tutti quanti. Pas de préemballage dans des boîtes ou des sacs en polyéthylène, mais toujours les sacs en papier.
On se dirigeait ensuite vers la caisse enregistreuse imposante au bout de l’allée pour poinçonner les montants sur de gros boutons identifiés avec des chiffres. Une touche ouvrait le tiroir en bois du bas contenant les billets et la monnaie dans différents compartiments. Les touches faisaient entendre un dring distinctif. Oubliez les pavés tactiles silencieux d’aujourd’hui et les cartes de crédit ! On payait en argent sonnant et trébuchant.
L’instrument donnait le total de l’achat, mais pas la somme à remettre au client. J’appris vite comment la calculer. Je plaignais certaines employées qui devaient effectuer la soustraction sur un bout de papier à côté de leur caisse.
Une fois par année, si ma mémoire est bonne, le 31 janvier, après la fermeture du magasin, on procédait à l’inventaire avec formulaire et crayon. Un maximum de personnel était requis pour cette tâche ardue. Pas de logiciel qui notait et gardait à jour les quantités de marchandises. Évidemment le département de la quincaillerie avec toutes ces centaines d’articles prenait un temps fou. Je m’appliquais, mais je ne peux pas garantir l’exactitude de tous mes comptages après quelques heures de travail.
J’ai conservé cet emploi environ un an. Cela me permit de vaincre peu à peu ma timidité en manœuvrant avec toutes sortes de personnalités et d’accumuler un petit pécule.
Excellente formation !
© 2023 SHP et Michèle Olivier,
Illustration Marie-Josée Hudon,
Index des capsules de mémoire de Michèle Olivier
Très beau texte qui suscite des commentaires chaleureux. Peut-être pourriez vous publier dans le bulletin de la SHP. Je suis responsable du bulletin et notre prochain numéro sur l’avenue du Mont-Royal serait une belle vitrine pour votre souvenir de Lariviere et LeBlanc.
D’accord pour la publication de mon texte dans le bulletin de la SHP. C’est flatteur pour moi. Merci.
Je t’imagine rire dans ta tête en complimentant les chapeaux, ça devait être beaucoup plus divertissant que les vis. Superbe texte Maman encore !
Oui quels beaux souvenirs quand je suis revenu résider dans le Plateau en 1965, il est certain que Larivière et Leblanc faisaient partie de mon décor. Je n’y ai pas travaillé, mais l’un de mes oncles Gilles Prieur a travaillé là dans sa jeunesse. Il y a appris à faire les décors dans les vitrines.
Quels beaux souvenirs !
Bien dit, j’y ai travaillé également les fins de semaines dans les années 1955-1956 lorsque j’étais adolescente et moi aussi j’étais assiégée au département de la quincaillerie au fin fond du magasin. Je me souviens que le samedi, à la fermeture du magasin, le gérant nous remettait une petite enveloppe de papier brun dans laquelle s’y trouvait nos quelques dollars gagnés en argent comptant. C’était l’époque et j’y étais heureuse.