La « grocery » de grand-papa
Mais, une en particulier a frappé mon imagination, c’est celle de mon grand-père Onésime Pilon, natif de Rigaud. Il a vécu sur la terre de son père Charles qui était cultivateur, jusqu’à l’âge de 26 ans. Voulant faire autre chose de sa vie que cultivateur, il est parti travailler dans le bois à Ausable au Michigan où il rencontré le père de sa future épouse, Azilda Meilleur. Il est revenu avec sa dulcinée pour se marier à Rigaud le 14 janvier 1896 à l’âge de 32 ans. Il est parti peu de temps après pour s’installer à Montréal à la Pointe-Saint-Charles. Il a accueilli sa belle-mère avec trois de ses enfants en 1900, suite au décès de son beau-père écrasé par un arbre en travaillant au Michigan. Il a alors ouvert une épicerie en association avec un frère de son épouse et qui était située coin des rue Dupré et Saint-Maurice dans l’actuel Vieux-Montréal. Elle portait le nom de « PILON-MEILLEUR, GROCERS ».
Après, la dissolution de l’association, les deux familles ont ouvert leur propre épicerie. Mon grand-père acheta une bâtisse située coin nord-ouest des rues Marquette et Gilford à Montréal sur le Plateau! Il paya cet édifice 8 000 $. Et y installa l’épicerie au premier plancher, ainsi que la section boucherie située à l’arrière et tout à côté l’écurie. Le logement situé au deuxième étage a servi de demeure à sa famille où ils ont habité avec leurs trois filles et trois garçons. Son personnel à l’épicerie était son épouse Azilda et ses trois garçons, Henri, Arthur et Louis (mon père).
À l’épicerie, les gens pouvaient se procurer tout ce qu’ils avaient besoin à la maison. De la viande, des fruits et légumes, du pain, du lait, de la margarine ou beurre, du thé, des conserves, liqueurs douces ainsi, que balai, charcoal, huile à lampe et plein d’autres articles ménagers. Mais surtout du « gros gin », De Kuyper, Bols, Geneva, St-Severy, c’était avant la prohibition et la Régie des Alcools! Il y avait même un comptoir avec tabourets pour que les gens puissent s’asseoir et prendre un « petit blanc » pour se remonter le moral en jasant avec l’épicier des dernières nouvelles du quartier.
À l’intérieur, contrairement à aujourd’hui, l’atmosphère était sombre, étant éclairé par de petites lampes à l’huile suspendues au plafond et que l’on peut apercevoir sur les photos. Il y avait la section boucherie à l’arrière éclairée par une seule ampoule suspendue au plafond (voir photo). Le boucher accueillait sa clientèle derrière son étal où il coupait sa viande. Les pièces de viande suspendues à des crochets tout autour étaient bien en évidence. Le bran de scie étalé en grande quantité sur le plancher pour bien absorber le sang s’écoulant de la viande. La viande était enveloppée dans du papier brun provenant de gros rouleaux accrochés au mur et que l’on déchirait en tirant dessus. Les légumes étaient mis dans de gros paniers en osier et déposés par terre. Il y avait là aussi des tabourets pour que les gens puissent s’asseoir et voir le boucher débité leur viande devant eux tout en jasant de tout et de rien.
Mon grand-père partait très tôt le matin avec sa charrette tirée par son cheval et allait chercher son approvisionnement en fruits, légumes et viande sur la Place Jacques-Cartier dans l’actuel Vieux-Montréal où tous les cultivateurs se rassemblaient installés côte à côte pour vendre leurs produits frais de la ferme exposés à l’arrière de leur charrette. Il se rendait aussi chez certains fermiers qui avaient leur terre dans l’actuel Rosemont.
Sa clientèle n’était pas riche, il devait donc faire crédit. Les gens entraient pour faire leur « grocery » et faisait « marquer » comme on disait. Mon grand-père avait des carnets au nom de ces clients, où il inscrivait les achats et le père de famille passait le voir quand il avait sa paye pour solder son compte et peut-être boire un petit coup de blanc en passant! La famille de mon grand-père n’a jamais manqué de rien sur la table, même durant la Crise de 1929!
Anecdote:
Mon grand-père était un homme taciturne et bourru. Mes sœurs m’ont donc dit qu’elles avaient un peu peur de lui. Sauf une, qui lorsqu’elle revenait de l’école des Saints-Anges, s’arrêtait à l’épicerie. En entrant, elle se dirigeait vers le comptoir de biscuits en soulevant le panneau vitré et elle se prenait un seul biscuit. Mon grand-père en la voyant lui versait un verre de lait. Il allait s’asseoir dans sa chaise berçante qui trônait dans un coin de l’épicerie et l’invitait à venir s’asseoir sur ces genoux pour la bercer. Tout se faisait dans un grand silence, jusqu’à ce que ma sœur finisse son biscuit et son verre de lait. Aussitôt, mon grand-père lui disait sur son ton sec « Vas-t-en chez vous avant que ta mère s’inquiète! » Car, on demeurait sur la rue Marquette entre les rues Mont-Royal et Gilford tout près de l’épicerie. Il était sûrement plein de sentiments bien cachés, mais ne pouvait les montrer!
À sa mort en 1950, un de ces garçons a pris la relève, car il était le seul qui était intéressé un peu à vouloir perpétuer ce que grand-papa avait bâti. Mais, il a dû vendre quelques années plus tard, lors de l’arrivée des grands marchés d’alimentation, tel que Steinberg, Dionne et autres.
Je n’ai jamais connu mes grands-parents étant né après leur décès. Mais, j’ai entendu suffisamment d’histoires contées par mes sœurs et mon frère, c’est comme s’il avait été devant moi pour me conter lui-même sa vie bien remplie.
Honneur à toi Onésime, c’est grâce à toi et grand-maman, si nous sommes devenus une aussi belle famille unie!
Résident du 4569, 4582, 4565 et 4556 Marquette à certaines périodes de ma vie
Wow si touchant l’histoire de votre grand-père. Bravo pour cet article. Lorsque j’ai fais les recherches pour le 750, Gilford, j’ai demandé à la famille Tourville s’il y avait des tabourets pour les clients, mais non… contrairement à l’épicerie de Onésime Pilon.
C’est vraiment intéressant cet article et de lire les commentaires aussi. Est-ce qu’il y a des histoires ou photos de l’épicerie de la famille Soucis, coin Gilford et Fabre? On habite à cette adresse maintenant et j’espère trouver des informations à propos de cette ancienne épicerie.
Je n’ai pas de photo, mais je sais que le frère de mon père Arthur Pilon a travaillé à cet endroit pendant quelques années. Je crois, qu’il était comme un homme à tout faire. C’était une épicerie très appréciée par les gens du coin après la fermeture de l’épicerie de mon grand-père. Il y avait aussi de l’autre coté de la rue sur Gilford, la boucherie Émard, dont une fresque est sur le mur où il y avait l’entrée de la boucherie. Je me souviens de M. Émard et de sa femme, qui avaient toujours une cigarette au bec, même en tranchant les pièces de viande. Mme Émard voulait toujours me donner un bec quand j’arrivais, mais je n’aimais pas trop l’odeur de cigarette! 🙂 C’est surtout la grosse porte de la glacière qui m’impressionnait, toute en bois avec d’immenses charnières.
Merci pour ce très touchant témoignage.
Cela me rappelle un peu l’épicerie de mon arrière grand père (que je n’ai pas connue) puis de mon grand oncle, à Saint-Denis sur Richelieu. Merci de m’avoir rappeler tous ces souvenirs lointains (j’avais 5 ou 6 ans seulement).
Bonjour M. Pilon,
Que de souvenirs, je suis plus jeune et mes souvenirs datent de 1971, ayant travaillé à la Boucherie Marcel Emard (1602) comme livreur et comme plusieurs s’en souviennet, sa dame jasait et jasait suffisamment si bien que les clients avaient de la difficulté à repartir!
Votre épicerie comportait à une époque à l’arrière un hangar à glace au nom de Duquette!
Que de beaux souvenirs!
Merci pour votre commentaire.
Je me souviens surtout des becs mouillés à odeur de cigarettes de Mme Émard! 🙂 Mais, elle était si gentille et son mari aussi, mais moi en ti-gars de 4-5 ans, j’aimais pas beaucoup aller là, mais ma mère m’amenait toujours avec elle, son petit dernier!
De beaux souvenirs quand même que tout ça.
Très Grand Merci!
Nous sommes les actuels résidents du 2e étage (1609 Gilford) depuis 1993 et on avait eu par le biais d’un voisin , Gilles Dion, quelques photos anciennes de la maison, y ayant d’ailleurs habité lui-même dans sa jeunesse. L’une d’entre-elles à l’intérieur de l’épicerie est d’ailleurs plus grande avec plus de détails. Si vous voulez que je vous les envoie, relancez moi sur mon adresse courriel pour que je puisse vous les acheminer.
Encore un Grand Merci pour ce Travail de Mémoire.
Mario Giroux et Josiane Lefebvre
Merci pour votre commentaire.
Je viens de vous envoyer un courriel aujourd’hui même en réponse à votre commentaire.
Je suis très intéressé par vos propos.
Bonjour,
Notre famille a vécu plusieurs années au 1581 rue Gilford, soit à 5 portes à l’ouest de l’épicerie de monsieur Arthur Pilon. Mon frère, plus vieux que moi, a livré des commandes avec la bicyclette de monsieur Pilon.
J’ai également travaillé sous la supervision de monsieur Pilon, comme quêteur à l’église Saint-Stanislas de Kostka, aux messes du dimanche: monsieur Pilon était responsable des placiers et quêteurs.
Au début, la maison à côté de notre logement comprenait lesalon de barbier de monsieur Sénécal et plus tard ce fut un bijoutier, monsieur Lemire.
Il y avait également une buanderie chinoise au coin de Fabre, nord-ouest de Gilford et une épicerie de la famille Soucis, nord-est, qui faisait aussi crédit à ses clients.
Arthur était le fils de mon grand-père et frère de mon père Louis. Quand l’épicerie a été vendue, Arthur a été travaillé chez Soucis! Mon père faisait partie de l’Amicale Saint-Stanislas et était aussi placier et quêteur à la messe.
Merci encore Monsieur Robert,
Tous ces petits détails d’une vie passée, avec des photos qui rendent le sujet encore plus véridique. J’ai souvenir aussi d’être allée à la « grocery » du coin et faire préparer une tranche de steak dans la ronde, à la demande de ma mère.
Merci!
Le problème avec ce beau texte de Robert Pilon c’est que …on va lui en demander d’autres. Assez fréquemment, sur le site de la gang du Plateau, Robert ajoute plein de détails sur les commentaires des membres de la «gang». C’est d’ailleurs là qu’il a été recruté pour ce texte.
En effet, cette rubrique, qui s’esquisse avec les anciens commerces familiaux, est des plus intéressantes. C’est la source de petits détails sur les habitudes des gens, leur mode de vie aussi. Cela permet de bien saisir le quotidien de ce temps.
Alors, Robert ! À quand le prochain?
Le secteur plus à l’est de Papineau (De Lorimier) manque un peu de souvenirs.
Merci pour le texte et les photos.
Merci! Ça m’a donné effectivement le goût d’écrire d’autres souvenirs de jeunesse sur le Plateau. Attendons l’inspiration!
Fort intéressant
Belle reconstitution de l’époque.
Mes grands-parents maternels, Wilhelm Léger et Emma Laberge, habitaient au 1951 Gilford, soit tout près du 1613!
Merci!
Cher Robert,
C’est avec un petit bonheur dans le coeur que de lire cette « chronique d’époque ».
Qui de nous, enfant, n’a pas eu à aller chercher la livre de steak haché à la grocery qui manquait pour le repas.
En main, nous avions le dollar (en papier) qui venait avec les consignes de maman: « Amuse toi pas en chemin! » ou
« Tu ramènes le change au complet! ». (1lb pour 88¢).
Ou encore, en visite chez Grand-Papa, le dimanche, la petite tournée des bonbons à 1¢ au Marché Brochu, coin Marie Anne et Brébeuf.
En chacun de nous dorment ces petits trésors de souvenirs.
Merci pour ces souvenirs de jeunesse! C’est toujours plaisant d’entendre ce genre d’histoire!
Votre grand-père serait actuellement « IN »
Depuis quelques années la consommatrice revient aux petites boutiques spécialisées. Le concept est un retour aux contacts plus humain.
Signes des temps nouveaux ou retour aux sources, un peu des deux!
Félicitations a vous pour ce délicieux moment.
Tout à fait raison!
Merci pour ce texte fort intéressant!
Merci de l’avoir lu!
Merci Robert pour ce très beau témoignage.
On croirait y être. Les photos sont d’une clarté remarquable. Mon arrière grand-père était marchand général (son père aussi). C’était à Saint-Denis sur Richelieu et quand j’étais petite, son magasin ressemblait encore un peu à celui de votre grand père. C’est un super marché maintenant…
Comme le métier de marchand rayonnait sur l’entourage alors, je n’en reviens pas.
Merci! Vous avez tout à fait raison dans vos propos, quand on dit que l’épicerie était un lieu de rencontres du quartier. Je me souviens quand j’allais à la boucherie Émard avec ma mère et que la femme du boucher m’embrassait sur les joues quand j’entrais et qu’elle jasait ensuite avec ma mère des potins, pendant que M. Émard préparait sa commande.
C’est fou j’ai comme l’impression de lire du Michel Tremblay.
Normal, Michel Tremblay demeurait coin Gilford et Mont-Royal et puis après sur Fabre, une rue à côté de Marquette.
De plus, j’ai eu une enfance un peu semblable. Il écoutait les histoires de sa mère et de ses tantes, caché sous la table. Moi, j’écoutais les histoires de ma mère et de mes cinq sœurs, accoté sur le radiateur dans le salon en regardant dehors avec le store peu ouvert pour espionner la rue! 🙂
Je constate que déjà en 1920 le « Canada Dry » ou ginger ale était sur les étalages.
La marque du ginger ale était le Stewart Biloxie.
Superbe!
Un récit tout à fait délectable, bien documenté.
Bravo et merci de partager ces instants d’histoire mémorables.
Merci pour votre commentaire.