Scène de rue 6. Rue Fabre
Dans laquelle les garçons Leduc partent à la découverte de leur nouvel environnement, et des filles du boulanger.
Un nouveau logement
En juin 1922, Agnès donne naissance à un troisième garçon, Paul-Émile, baptisé à l’église Saint-Stanislas-de-Kostka. Avec l’arrivée du bébé, les Leduc se cherchent un logement plus grand, d’autant qu’Eucher habite toujours avec eux. Les nouvelles constructions poussent comme des champignons au sud de la voie ferrée. Ils se trouvent un bel appartement tout neuf, au 690 (l’actuel no 5286) de la rue Fabre ; un rez-de-chaussée, ils n’auront pas d’escaliers à monter.
Gérard, Roger et les voisines
Dès leur arrivée, les enfants prennent possession de la rue. L’odeur du pain qui se répand dans le quartier leur met l’eau à la bouche. Vêtus de leurs costumes de matelot assortis, Gérard et Roger font la connaissance des petites voisines. Gérard s’approche d’elles, mais reste prudemment vissé à son tricycle, un peu intimidé.
Tout sourire dans sa poussette de métal et de rotin, aux allures de brouette, Paul-Émile convoite la draisienne de Roger. Celui-ci hésite, puis finit par prendre son petit frère en selle avec lui, mieux vaut créer des alliances avec le benjamin, ça lui évitera de se retrouver, plus tard, pris entre deux feux. Gérard file vers le nord de la rue Fabre, Roger le suit comme il peut, ralenti par le bébé qui ne veut pas lâcher le guidon. Agnès leur crie de revenir, Roger fait la sourde oreille et, comme il vient pour tourner le coin, au bout des maisons, il est stoppé net dans son élan.
En trois enjambées, sa mère l’a rejoint et attrapé par le collet. L’expédition se termine ici. Sous le regard sévère de sa tante, Roger revient piteusement vers la maison. Moment que choisit une voisine, madame Durivage, pour sortir de la boulangerie, les bras chargés de brioches et de petits pains chauds frais sortis du four. Il y en a pour tout le monde : bienvenu dans leur nouveau quartier !
La maison du bout de la rue
Pour croquer les photos de 1 à 9, le ou la photographe a choisi le côté ouest de Fabre et dirigé son objectif vers l’est. La photo 7 montre le mur nord du 5327 à 5333 Fabre, qui est alors le dernier immeuble sur ce côté de rue.
Le nouvel appartement des Leduc (flèche). Les profils d’œil indiquent l’orientation de la caméra, qui se déplace. Les numéros de 1 à 9 correspondent à la position des sujets sur les photos ci-haut. Goad, 1939, vol. V, pl. 302, 303.
Les édifices sur cette portion de rue ont traversé le siècle sans trop de contrecoups. Je ne reprends pas ici les comparaisons de chaque plan, seulement celle de la photo 1. À quelques boiseries près, tout est à l’identique. Une différence notable, à la droite de Gérard, l’arbre planté par la ville a bien profité.
Roger boude
Dans la cour arrière rue Fabre, Roger, tout heureux, a enfin réussi à mettre la main sur le tricycle, seul problème, ses jambes sont encore trop courtes pour le pédalier. Il se déhanche, pousse du bout du pied, puis de l’autre, ses bas tiennent le coup grâce aux porte-jarretelles, mais pour le reste…
Gérard profite du démarrage raté de son frère pour sauter sur le marchepied, après quoi, il prend le contrôle des opérations. Roger ferme les yeux avec force dans l’espoir de disparaître : plutôt mourir que d’avouer à son frère qu’il n’arrive à rien avec le tricycle. Changement de plan, il abandonne le guidon à Gérard, il aime encore mieux se balancer, na ! Manque de pot, la balançoire est prise par Paul-Émile. Pris entre deux feux, Roger boude…
Les voisins Durivage
Dans son testament de 1962, Alphonse Durivage, maître boulanger, propriétaire des lots 332-18 à 332-24 des plan et livre de renvoi officiel du Village de la Côte St-Louis, lègue à son fils Claude ses propriétés de la rue Fabre.
L’appartement des Leduc, au 690 (l’actuel no 5286) Fabre (flèche bleue). Au sud, le 680 (l’actuel no 5278), la maison d’Alphonse Durivage et sa boulangerie Bakery, carte Goad 1920, vol. V, pl. 302, photo de 2022.
Les filles du boulanger
Un trio composé de deux fillettes et de leur petit frère revient sur des photos prises à quelques mois d’intervalle (voir Scène de rue 8). Entre-temps, le bébé en poussette a appris à marcher. De toute évidence, ces enfants habitent le voisinage. D’où cette question qui m’est venue et m’a fait sourire. S’agit-il des petites Durivage, Jeanne et Denise, et de leur frère Claude, le futur héritier des propriétés de la rue Fabre ?
Dans la prochaine Scène de rue, ma grand-mère se fiance et son frère se marie (voir Scène de rue 7).
Table des matières- Références et sources
© SHP et Dominique Nantel Bergeron, 2022.
Merci de nous faire vivre ces moments privilégiés de ces pionniers du Plateau.
Au moment de ma naissance, mes parents habitaient au 3ème étage du 5283 de la rue Fabre. Mes souvenirs de cette résidence se sont envolés mais mon père m’avait dit qu’il avait installé une clôture grillagée pour rehausser celle existante car apparemment j’aimais propulser mes jouets en bas du balcon du 3ème ! C’était l’apprentissage de la gravité.
Je possède un film 8mm qui me montre assis sur ce balcon sur les genoux de mon grand-père; on était en 1952.
Merci de partager vos souvenirs!
Le lancer d’objets en bas du balcon, un plaisir sans fin! Un film en prime! Votre grand-père venait-il du quartier Laurier Est?
Mes grands-parents Caron habitaient la rue de Normanville près de Rosemont. Mais précédemment, ils logeaient sur la rue de Lauzon, intersection Rivard jusqu’en 1936.
Je sais aussi qu’un pharmacien au nom de Jean-Baptiste Caron tenait commerce sur Laurier est. Il était mon petit-petit-cousin.
Par ailleurs, la famille Durivage a déménagé dans le nord de Montréal sur la rue Somerville. Le frère de ma mère était leur voisin.
Merci pour toutes ces précisions!
Suivez son regard
N’oubliez pas de suivre la direction du regard de Dominique Nantel-Bergeron, grace aux yeux placés sur les plans pour situer la direction des photographies.
Personnellement, j’apprends beaucoup de ces articles à travers l’histoire du Plateau. Je ne savais pas que la boulangerie Durivage était à cette époque dans le Plateau mais j’ai appris à la connaître quand je travaillais près de cette compagnie dans le quartier Rosemont sur la rue Dandurand en 1969.
Le père de mon épouse Edmond St-Julien était employé chez Durivage et livrait leur pain avec sa charrette tirée par un cheval qui connaissait parfaitement son parcours. On le voie sur cette photo, dans les années 50, en train de montrer à ses deux fils Gilles et Marcel son attelage.
Magnifique! Quelle belle photo!
Les photos ont tant à dire! On dirait que chaque détail peut devenir objet d’étude.
Par exemple, c’est émouvant de voir comment a grandi le petit arbre derrière Gérard sur la photo 1. Faut dire qu’il était bien protégé, au départ, avec ses quatre planches de bois percées d’évents. On remarque d’ailleurs le même type de protection autour des arbres qui se trouvent à gauche sur la photo 5 de la Scène de rue 5. Il semble que la ville avait à coeur la survie des arbres. Il est désopilant de voir que la plupart des troncs sont aujourd’hui meurtris par les pelles des chenillettes qui débarrassent la neige des trottoirs.
Vous avez bien raison, et plus on les regarde, plus elles nous livrent leurs secrets!