Mes souvenirs du Patro 5/6
Les belles années
Je n’étais pas le meilleur athlète de l’équipe, tant s’en faut, ni le plus grand, le plus fort ni même le plus n’importe quoi. Pourtant j’étais invariablement le centre de l’attraction féminine. Personne ne comprenait pourquoi. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris que la voix, l’humour, le respect, l’attitude générale, tout ce qu’on appelle le charme quoi, pouvait faire des merveilles. Mais même au-delà de tout cela, pour quelque obscure raison, certains hommes exercent sur la gent féminine une attraction qui semble complètement irrationnelle. C’est d’ailleurs ce qui fait la beauté de la chose.
Mais point n’est besoin de l’expliquer pour profiter d’un pouvoir. Quoique ma timidité m’ait certainement privé de plusieurs aventures, il y avait toujours une fille un peu plus hardie que les autres pour faire les premiers pas. Une fois cette étape franchie, je me sentais beaucoup plus à l’aise et le reste coulait de source. C’est ce qui s’est passé à Ottawa, lors d’un tournoi de basket-ball, où nous avions été invités à un ‘’party’’ réunissant les membres des différentes équipes en lice.
Au début de la soirée, nous avions tous remarqué une très jolie demoiselle qui, visiblement, se cherchait un cavalier ; mais manifestement pas n’importe lequel. À chaque fois que la musique se faisait plus langoureuse, quelques gars se risquaient à aller lui demander de danser, sans succès. Comme à cet âge rien ne vaut la troublante sensation que procure un bon ‘’plain’’ collé en charmante compagnie, et malgré l’humiliante perspective d’essuyer à mon tour un refus, je me décidai à tenter ma chance dès que j’entendis les premiers accords de ma chanson préférée, ‘’Crimson and clover’’. Je cru fondre d’extase lorsqu’elle consentit à m’accompagner sur la piste de danse et encore plus lorsque je sentis son corps se mouler au mien. Ce fut finalement l’apothéose quand nos lèvres s’unirent en un baiser brûlant.
Mes coéquipiers en sont littéralement tombés en bas de leur chaise. Je ne sais pas si c’était la fierté d’avoir réussi là où ils avaient tous échoué ou encore les sensations physiques de pur bonheur que me procurait la proximité féminine mais toujours est-il que je me sentais transporté d’une félicité sans bornes. Le reste de la soirée fut pour moi un long ‘’french kiss’’ ininterrompu, qui se prolongea même jusque dans l’abri d’autobus où elle me suivit en compagnie de tous mes amis, toujours aussi médusés par mon succès. L’heure des adieux avait sonné, mais elle voulait rester avec moi jusqu’à la toute dernière seconde. C’est que je n’oubliais pas que nous étions en ville pour un tournoi et que la limite du couvre-feu approchait dangereusement. Un dernier ‘’french’’, un dernier regard, et, sous les moqueries générales, le retour s’effectua dans la bonne humeur en commençant déjà à se préparer pour la dure journée du lendemain.
Nous avions atteint les quarts de finale. Sans être une formalité, les premières parties avaient été assez faciles. Ainsi, contre l’équipe de Gatineau, le frère Viger nous avait demandé non pas de gagner, ce qui ne faisait aucun doute étant donné la taille minuscule de nos adversaires, mais de les écraser. En termes de pointage, bien entendu. Dans ce genre de partie, je jouais toujours plus que d’habitude. Ce qui tombait bien puisque pour une rare fois, ma famille avait pu se déplacer pour venir me voir ! J’en étais extrêmement fier. J’ai répondu par une brève mais étincelante performance de trois paniers d’affilée, soulignée par le coach lui-même, pourtant avare de compliments, lors de notre meeting de la mi-temps. Je ne portais plus à terre. J’y suis cependant revenu assez vite merci, lors du rituel de la douche glacée auquel nous étions soumis immédiatement avant chaque partie et à l’entracte. Nous avons fini par obtenir une victoire décisive et seulement deux parties nous séparaient maintenant de la consécration.
Après avoir gagné le quart de finale contre je ne sais plus trop qui, ni comment, un seul obstacle se dressait encore devant nous afin d’atteindre la finale : Bayshore ! Évidemment, nous ne les avions pas encore affrontés, mais nous les avions vu pratiquer. Ils étaient impressionnants, intimidants, presque terrifiants ; grands, forts, précis et confiants. Bref, nous les regardions avec admiration. Mauvais cela ! Très mauvais ! Le coach, qui en avait vu d’autres, s’en aperçu très vite et décida d’inverser le courant avant qu’il ne soit trop tard.
Nous avons eu droit à tout un discours. D’abord, s’il est bon de respecter l’adversaire, il est beaucoup moins de mise de l’admirer, et encore moins d’en avoir peur : c’est là le meilleur moyen de perdre ! Deuxièmement, notre entraîneur avait une confiance illimitée en nous ; c’est cette confiance qu’il s’efforçait de nous transmettre. Si on s’y mettait tous ensemble, si on suivait le plan de match, personne ne pouvait nous battre. Il en était sûr et certain. Troisièmement, n’avions-nous pas noté de l’arrogance chez nos adversaires ? Une arrogance typiquement anglophone en plus ? Nous étions en finale provinciale, non ? Cela ne nous rappelait-il pas quelque chose ?
C’est donc sur ces bonnes paroles, avec une fierté retrouvée et, bien sûr, après l’inévitable douche glacée, que nous sautâmes sur le terrain, gonflés à bloc, déterminés à vendre chèrement notre peau. Pendant le réchauffement, nous évitions de regarder l’adversaire de trop près. Mais du coin de l’oeil, nous avions tous noté qu’ils étaient nettement plus grands que nous. Ils semblaient aussi incroyablement habiles avec le ballon, qu’ils s’échangeaient avec une précision chirurgicale. Malgré les belles paroles du coach, nous étions quand même intimidés.
Au jeu !
Réunis au banc, juste avant la mise en jeu initiale, le coach nous donne ses dernières instructions et nous communique l’alignement partant : à l’aile gauche, Pierre Prévost ! Je rêve ou quoi ! En pleine demi-finale provinciale, probablement la partie la plus importante de sa jeune carrière et de la nôtre aussi, face à l’équipe la plus redoutable que nous n’ayons jamais rencontrée, il me demande à moi, l’éternel remplaçant, de commencer la partie ? J’ai à peine le temps de réaliser ce qui m’arrive que la partie commence.
Nous gagnons la mise en jeu et passons à l’attaque. Je reçois le ballon immédiatement et sans réfléchir, toujours en mouvement, je lance au panier à l’extérieur de la ligne des trois points. Il décrit un long arc parfait et tombe directement dans le cerceau. Même en pratique, je ne réussis ce coup qu’une fois sur dix ! Je me sens tout à coup invincible. Mes coéquipiers me félicitent de toutes parts pendant que nous prenons nos places en défensive. Pendant toute ma présence, nos adversaires me prêtent une attention particulière, impressionnés eux aussi par l’apparente facilité avec laquelle j’ai inscrit le premier panier de la partie. Ce qui libère les autres, pourtant nettement meilleurs que moi mais ça, ils l’ignorent encore. Je suis finalement ramené au banc, que je ne quitterai plus jusqu’à la fin de la partie.
Je me suis toujours demandé ce qu’espérait au juste le frère Viger en me faisant jouer comme ça, au début de cette partie cruciale. Mais peu importe la raison, le fait est que j’ose encore penser que cette brève apparition, ponctuée d’un panier de toute beauté, a redonné des ailes à mon équipe. Après tout, si le moins bon de la ‘’gang’’ pouvait briller, pourquoi pas eux ? Malheureusement, ce ne fut pas suffisant.
La joute fut serrée de bout en bout. La victoire aurait vraiment pu pencher d’un côté comme de l’autre. Mais le pointage, lui, avait penché de leur bord plus souvent qu’à son tour. Ce fut donc sans grande surprise que nous perdîmes par quelques points. Mais nous avions tout donné et j’en suis toujours fier. Nous aurions pu rester et assister à la grande finale disputée en soirée, mais il avait été convenu qu’advenant une défaite, étant donné l’heure tardive, nous devions renter à Montréal tout de suite après. De toute façon, le coeur n’y était plus. Le voyage de retour ne fut pas des plus joyeux. La défaite, malgré tout le foin fait autour des vertus de la participation, laisse tout de même souvent un goût amer. Mais dès le lendemain, nous eûmes droit à tout un prix de consolation.
Une rumeur persistante avait en effet flotté sur le tournoi à l’effet que certaines équipes n’étaient pas tout à fait en règle, question réglementation. D’ailleurs, la taille et l’habilité exceptionnelles de nos adversaires en finale avaient immédiatement semé le doute dans notre esprit. Eh bien, nous avions raison ! Le dimanche après-midi, peu de temps après notre départ, on avait découvert, Dieu sait comment, que quelques joueurs de Bayshore avaient présenté de fausses preuves d’âge et appartenaient en réalité à la catégorie supérieure. Leur équipe fut donc promptement disqualifiée. Selon la logique nous aurions dû être automatiquement qualifiés pour la finale. Mais… à l’heure où une décision se devait d’être prise, nous étions quelque part sur la route entre Ottawa et Montréal ! Malheureusement, les téléphones cellulaires reposaient toujours sous forme d’idée en devenir dans quelque cerveau pas encore suffisamment développé pour qu’elle n’ait eu la possibilité de jaillir. Ce n’est donc qu’en rentrant à Montréal que le coach fut informé de ces développements et seulement le lendemain que nous l’apprîmes nous-mêmes, dans un mélange de soulagement et de déception.
Heureux parce que notre défaite n’en était pas vraiment une, ayant été battus par des tricheurs. Malheureux parce que nous n’avions eu aucune possibilité de nous reprendre, la joute ultime ayant été finalement disputée -et remportée - par une équipe que nous avions éliminée ! Si seulement nous étions restés quelques heures de plus…
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Références et sources
© SHP et Pierre Prévost, 2021.
Excellent récit! Aux couleurs de l’adolescence ***** et d’une certaine époque.
Bravo!
Que sont devenus les frères Ferland ?
Et Roy Barrington?
Et Jacques Robert ?
Et le frère Alfred…dit le genou?
Dieu seul le sait !!!!