Scène de rue 12. La dernière Scène, sur fond de krach
Dans laquelle Paul-Émile fait entendre son nananère du haut des airs.
Le krach boursier
En octobre 1929, un krach boursier déclenche une crise économique inégalée qui se répand sur le monde et touche Montréal de plein fouet. Les membres de la fratrie Leduc sont-ils affectés par la crise ?
Oscar-Eugène, employé civil
De 1926 à 1928, Oscar-Eugène est gérant chez C. A. Duclos & Co., un commerçant de bois, charbon et huile à chauffage. Ses revenus lui permettent d’habiter une des maisons cossues de la rue Garnier, devant lesquelles Agnès, son épouse, posait en 1922-1923 (voir Scène de rue 5). Après le krach, Oscar-Eugène perd sans doute son travail. À partir de 1930, il demeure au 6883 Iberville et travaille comme secrétaire pour la Albany Oil & Gas Co. Ensuite, si l’on se fie à l’annuaire Lovell, c’est la débâcle, il passe de la rue Poupart, dans l’est de Montréal, à la rue Gertrude, dans Verdun. Il est tour à tour « com trav », « trav », puis « aud ». À partir de 1935, il s’installe définitivement au 6420 Molson et occupe un poste d’employé civil.
Eucher à Montréal-Nord
La compagnie Charbonneau & Leduc cesse ses activités au moment du krach boursier. Eucher et sa famille quittent alors Outremont, où ils étaient installés depuis 1926, pour revenir dans Laurier. Ils logent un temps au 918 boulevard Saint-Joseph Est, mais déménagent bientôt à Montréal-Nord. La propriété qu’ils occupent est située en bordure de la rivière des Prairies. Un avantage de leur nouveau quartier, les cousins-cousines peuvent venir s’y tremper les pieds.
Eucher retourne chez belle-maman
De 1929 à 1931, Eucher est propriétaire de la A. Poupard Coal & Wood Co., mais ensuite… On le voit sur une photo de presse aux côtés de Joseph Élie, le propriétaire de la Municipal Oil Corporation, une compagnie qui possède d’immenses réservoirs à Viauville, une vingtaine de camions pour la distribution de la gazoline et de l’huile à chauffage, ainsi que sept stations d’essence dont une nouveauté, la gaseteria dont parle le journal et où les clients pourront se servir eux-mêmes ! Émile Élie, le beau-père d’Eucher, est vice-président de la compagnie.
Eucher a beau fréquenter de grosses huiles, pour lui, tout va de travers. Flottement de quelques années durant lesquelles je perds sa trace. En 1933, selon l’annuaire Lovell, il est gérant d’une station d’essence, la Métropole Gas Station, et habite désormais chez belle-maman ! On a pu admirer la chic maison du 1190 Seymour sur la photo de mariage d’Eucher et de Berthe dans la Scène de rue 7. Puis, à partir de 1938, comme son frère Oscar-Eugène, Eucher devient « employé civil ».
Marie-Ange et Louis
Depuis le début des années 1920, mon grand-père, Louis Bergeron, est à l’emploi de Leduc & Leduc (sans lien de parenté avec Marie-Ange). Les pharmaciens-fabricants ont prospéré durant la décennie et possèdent plus d’une quinzaine de succursales. En 1929, Louis passe de commis à assistant gérant. Puis, suite au décès de Tancrède Leduc (La Presse, 14 janvier 1930) – un « tata » naïf, dira de lui mon grand-père à mon père –, Louis se voit offrir le poste de gérant de la compagnie. Deux ans plus tard, à l’âge de 31 ans, il en est secrétaire-trésorier. Les Bergeron quittent Laurier pour migrer dans l’ouest, à Notre-Dame-de-Grâce. Seule exigence de ma grand-mère, qui en ras le bol des escaliers extérieurs : habiter un rez-de-chaussée. Des souhaits qui seront exaucés.
Succession et bisbille
Comme il arrive parfois, la belle harmonie qui régnait dans la fratrie Leduc ne dure pas. Mon père m’a parlé d’une bisbille qui s’installa suite à la vente de la maison à Beauharnois (voir Scène de rue 1). Oscar-Eugène et Eucher auraient bénéficié d’emprunts en lien avec l’immeuble, mais réclamaient une part d’héritage équivalente à celle de leurs sœurs ou une histoire du genre. De quelle succession parle-t-on ? De quelle maison ? La mort de Céleste Leduc [née Roy], en 1933, l’ancêtre de tous les Leduc dont il est question dans les présentes Scènes de rue, a-t-elle été le déclencheur de la discorde ? Sans date ni lieu, les recherches dans le registre foncier de Beauharnois n’ont mené à rien…
Quoiqu’il en soit, malgré la querelle qui opposa les frères et les sœurs Leduc, les femmes du clan restèrent unies. En témoigne cette photo prise à Rawdon, en 1972, des quatre sœurs Leduc avec leurs belles-sœurs !
Clin d’œil de Paul-Émile
Même si je n’ai exploré qu’une décennie des photos de Marie-Ange, j’ai l’impression de revenir d’un long voyage. J’ai fait la connaissance de grands-oncles, de grands-tantes, d’une ribambelle d’enfants, Roger, Madeleine, Paul-Émile… Parlant de lui, j’ai eu de ses nouvelles par les journaux de 1944. Comment se surprendre de le retrouver, durant la Seconde Guerre mondiale, dans la Royal Canadian Air Force (RCAF) ! Paul-Émile aura suivi les traces de son oncle Eucher, qui était dans la Royal Flying Corp (RFC) durant la précédente guerre (voir Scène de rue 2). Tel oncle, tel neveu ! Mais contrairement à Eucher, Paul-Émile a survolé les lignes ennemies. La Patrie mentionne qu’il faisait partie de la fameuse escadrille des « Alouettes » à titre d’officier-pilote et mitrailleur.
On croirait entendre retentir le « Je te plumerai », devise de l’escadron 425 Alouettes… comme si, au-delà des années, Paul-Émile narguait son frère Roger : nananère, il l’avait bien dit, c’est lui le plus rapide !
Scènes d’intérieur
Ma grand-mère accoucha de jumeaux à l’âge de 44 ans, une double naissance suivie de celle de la cadette deux ans plus tard. Au total, Marie-Ange aura eu huit enfants, un nombre qui rend compte du millier de photos d’enfants qu’elle a accumulé au fil des années. Après 1931, la caméra de Marie-Ange et Louis délaisse Laurier Est pour mitrailler les petits Bergeron à Notre-Dame-de-Grâce. Ce qui signe la fin des Scènes de rue.
La suite de l’histoire pourrait prendre la forme de… Scènes d’intérieur ! Car, grâce à l’acquisition d’un flash, nous avons droit aux premières photos de famille prises dans la maison de mes grands-parents.
C’est fini! 🙁
Table des matières- Références et sources
© SHP et Dominique Nantel Bergeron, 2023.
Ce fut un réel plaisir de lire vos écrits. J’ai habité plusieurs années au 5071 et 5079 Garnier et j’ai adoré ce quartier. Un gros merci
Bonjour
Je connais une autre personne qui a adoré vivre sur la rue Garnier.
Merci! Une très belle rue… Je n’avais pas précisé les adresses… De 1926 à 1928, Oscar-Eugène Leduc et sa famille habitait au 4817 Garnier. Ensuite, ils ont emménagé au 5020 Garnier, où ils ont vécu jusqu’en 1930.
Le monde est petit.
Marie-Hélène Meunier avait partagé l’histoire de son père.
Vraiment impressionnant!
J’ai partagé.
https://sadp.wordpress.com/2023/04/03/assez-impressionnant-scene-de-rue-12-la-derniere-scene-sur-fond-de-krach-petite-histoire-du-plateau/
Merci monsieur Lagacé, ainsi que pour l’ajout sur votre blogue d’une page pour Paul-Émile Leduc!
https://425alouette.wordpress.com/category/paul-emile-leduc/
Un peu triste de voir la fin de cette saga familiale. J’ai apprécié ces Scènes du début à la fin. Quel beau travail !
Merci, merci. Une saga qui va se poursuivre, sous une forme ou une autre !
Comme votre texte et les autres sont émouvants…
Que de pages d’histoire immortalisées alors que pour bien des familles, tout disparait et est oublié. C’est un beau témoignage d’amour et de fidélité.
Pour votre oncle Paul-Emile, il était dans le même escadron que mon père, Jean Ouellet. Si vous le vouliez vous pourriez peut-être transmettre quelques une de ses photos ou son histoire. Ils ont beaucoup de liens et de photos. Je vous joins le lien
https://425alouette.wordpress.com/about/
À droite les noms des aviateurs, avec souvent des notes et des photos.
Incroyable cette histoire d’escadron. Je vais explorer le lien suggéré, merci. Je voudrais simplement souligné que j’ai fait la rencontre de Paul-Émile et de sa famille à travers les photos de ma grand-mère. C’est donc dire presque en même temps que vous! Malgré que Paul-Émile ait été le cousin de mon père, je n’en avais jamais entendu parler avant 2021 !
Bravo Dominique, ce que tu as comme talent me fascine. Je viens tout juste de trouver encore des scrapbooks de Guillaume Beaulieu (fils de Valérie Nantel) et si j’avais un talent comme toi, j’aurais bien des choses à partager!
Merci Denyse ! Des photos anciennes encore. C’est formidable ! Et tu piques ma curiosité!
Je ne suis jamais bien intéressé ou bien attardé à l’histoire des pharmacies sauf peut-être à la grande pharmacie de Montréal sur la rue Sainte-Catherine, je pense. La pharmacie Leduc a sonné une cloche, une amie de mon passé m’en parlait elle avait commencé à y travailler au labo et comme commis elle habitait au coin des rues Papineau et Bélanger dans les années 60-70. Je pense qu’aujourd’hui c’est une pharmacie Jean Coutu qui l’a remplacée.
Un bizarre de souvenir de mon enfance me revient en pensant aux pharmacies Leduc & Leduc où travaillait mon grand-père. Il nous avait envoyé pour Noël une boite remplie de médicaments, pansements et autres… Drôle de cadeau… Il y avait entre autre, du Trulfa, un sirop rose au goût de craie. Mon père nous en donnait une cuillerée pour à peu près tous les maux. J’en raffolais, mais j’étais bien la seule de la fratrie.
C’était immense ce récit; et l’histoire riche d’une famille du Plateau qui semblait très heureuse de ses enfants.
Ces enfants semblaient également très heureux de vivre en tricycle au bord des toits. On n’écrit quand même pas une histoire extraordinaire en ne se contentant que de jouer, assis sur le gazon. Si l’on souhaite jouer plus prudemment, on peut toujours faire des tours du bloc en tricycle.
Les petits garçon pourront même prendre des passagères et les faire crier en roulant trop vite et en tournant trop rapidement,… sur deux roues.
C’est gentil votre commentaire, ça me touche!
Des passagères à l’arrière, qui crient en roulant trop vite… Votre dernière phrase puiserait-elle dans le vécu ?
La suite est-elle pour bientôt ?
Nous avons hâte que Dominique, nous raconte cette fois, après des scènes de rues des scènes d’intérieurs.
Ça sera tout un contrat !
En voici un avant goût, cette photo de mon père de 1948, sur un sofa du salon de la rue Northcliffe et qui pourrait s’intituler « Un dimanche matin après une longue nuit… d’étude! ».
On parle du petit qui était tombé du balcon.