Souvenirs avec grand-maman
Vous connaissez déjà ma grand-mère maternelle Florida. Vous savez aussi qu’elle était notre voisine de palier et que j’allais très souvent chez elle (revoir l’article « Quintuplex sur le Plateau« ).
Elle possédait une table tournante et quelques disques soixante-dix-huit tours que j’avais la permission d’écouter à ma guise. Je les manipulais avec soin, ils étaient si cassants. On y retrouvait les chanteurs français en vogue comme Maurice Chevalier, Georges Guétary ou Luis Mariano. Elle conservait en outre des disques du soldat Lebrun dont je me moquais intérieurement et qui vous font sans doute sourire. N’oublions pas qu’un de ses fils, oncle Raymond se battit en Europe, et deux autres, oncle Eudore et oncle Jean-Guy ont porté l’uniforme et suivi un entraînement militaire. Les chansons de cet artiste devaient la toucher particulièrement, surtout lorsqu’il s’adressait à sa « mère chérie » dans certains textes.
Les enfants partis, elle ne cuisinait plus. Une boîte de conserve vide de raviolis Chef Boyardi ou de ragoût de boulettes Cordon bleu traînait fréquemment sur son comptoir. Souvent le midi, elle prenait un repas au restaurant Bijou sur la rue Papineau, au nord du boulevard Saint-Joseph, près du cinéma du même nom.
Elle n’était pas femme d’intérieur et aimait sortir. Elle m’invitait régulièrement à l’accompagner durant la fin de semaine ou les congés scolaires. Nous nous baladions sur l’avenue du Mont-Royal en regardant les vitrines. Elle achetait peu de choses. Une de ses filles était de corvée pour l’habiller lors de fêtes familiales et son logement était bien garni. Pour ma plus grande joie, la promenade se terminait toujours par un dessert consommé chez Larivière et Leblanc dont j’ai déjà parlé (revoir l’article « Premier emploi« ).
Immanquablement, nous commandions une part de tarte au citron ou à la noix de coco, avec un café pour elle et un verre de lait pour moi. À ce moment, on présentait le sucre dans un contenant en verre, muni d’un couvercle de métal avec un bec verseur, par lequel la douceur s’écoulait. La crème ou le lait se servait dans un petit pichet. Les sachets de sucre et les godets de crème ou de lait viendront plus tard. Plus hygiéniques, mais moins écologiques !
Occasionnellement, l’été, nous marchions jusqu’au parc Lafontaine. C’était quand même loin pour elle. Nous y regardions les canards voguer sur l’étang artificiel ou encore nous observions les jeux d’eau multicolores de la fontaine.
À l’adolescence, je grandis très vite et bien que n’ayant pas l’âge réglementaire, j’allais au cinéma Bijou avec elle, un cinéma de quartier près de la maison. Je mettais du rouge à lèvres et accompagnée d’une dame respectable comme grand-maman, personne ne posait de questions. Puisque la censure était très active au Québec, il ne restait aucune scène un peu osée dans les productions.
On présentait deux films par séance. Pas toujours des primeurs que l’on réservait pour les grandes salles de la rue Sainte-Catherine, mais des films français récents ou des traductions. Avec les actualités du début, le programme occupait notre esprit pendant quelques heures. Plusieurs années plus tard, des films érotiques ont mis fin à la carrière de cet établissement. Aujourd’hui il est à l’abandon après avoir fait l’objet d’un projet de condominiums.
J’ai aimé mes sorties sur le Plateau avec grand-maman. Elle prenait le temps de m’écouter et ne m’adressait jamais de réprimandes.
Que demander de mieux !
© SHP et Michèle Olivier, 2024
Photos Michèle Olivier.
Index des capsules de mémoire de Michèle Olivier
Très beau texte revigorant.
Que de souvenirs me rappelant aussi ceux de l’époque sur le Plateau, le cinéma « Bijou » et son resto du même nom que j’ai fréquenté à quelques reprises. Un peu moins le cinéma car j’allais plutôt au « Passetemps » (cinéma « Mont-Royal ») et au « Papineau » plus proche de chez moi. Nous étions choyés d’avoir tout ça à un coin de rue près.
Merci pour vos souvenirs, je revies les miens en même temps.
Très bon article. J’habite tout près et votre narration sur le restaurant appelé aussi « Bijou » m’a fait demander si c’était le restaurant « Plein » Sud d’aujourd’hui ?
Merci et bonne journée.
Je l’ignore et j’aimerais bien le savoir? Peut-être que les propriétaires actuels le savent? Je n’y suis jamais allée avec grand-maman et ça fait plus de soixante ans. Merci pour votre commentaire.
Très touchant et surtout xx la a fait revenir un souvenir semblable pour moi…c’est avec ma sœur de 13 ans plus âgée que je me promenais sur Mont-Royal, elle était déjà mariée et elle profitait de la journée des courses pour s évader un peu et m amenait avec elle. Nous nous alliions manger des egg rôles au restaurant Asiatique près de Papineau.
Michèle Olivier, vos souvenirs sont toujours savoureux, tendres et si bien écrits. On vous accompagne littéralement, ici, dans vos sortie au « quinze cents » ou au cinéma. J’espère que les ainé(e)s d’aujourd’hui peuvent reproduire ce genre de souvenirs; même si ce n’est pas de la même façon. On salue Florida et on la félicite pour avoir laissé, chez ses petits enfants, des souvenirs impérissables comme les vôtres !
Merci pour ce beau témoignage. On a vraiment l’impression de se promener sur les rues du Plateau avec vous et votre gtand-mère.
Bravo Maman beaux souvenirs !
J’aurais bien aimé connaître mon arrière grand-mère.
Quel texte émouvant… On a le sentiment de connaitre et d’aimer votre Grand-Maman, qui me fait penser un peu à la mienne. Promenade dans les magasins, dessert au restautant, pour moi aussi c’était toujurs un plaisir
Que plaisir aussi de voir quelqu’un qui « pouvait aller au Bijou ». Le Canal 10 présentait les extraits de films (annonce) des cinémas « Saint-Denis et Bijou ». Cela avait toujours l’air si fascinant. Que de fois je voulais y aller mais j’étais sans doute un peu plus jeune que vous (10 ou 11 ans ?) mais je n’avais jamais d’adulte pour m’accompagner.