Les premiers pas
Une de ces petites ritournelles publicitaires m’est toujours restée en tête :
Fumez Du Maurier
La cigarette douce
Du Maurier, la cigarette de bon goût
Douceur et saveur
Son bout filtre c’est le meilleur
Fumez Du Maurier
La cigarette de bon goûtC’est peut-être parce que plus tard nous l’avions ainsi transformée :
Fumez Du Fumier
La cigarette du fermier
Du Fumier, la cigarette d’mauvais goût
Douceur, mal de cœur
Son bout filtre c’est l’horreur
Fumez Du Fumier
La cigarette d’mauvais goût
Un peu plus tard, à la télévision cette fois, Jean Coutu (l’acteur pas le pharmacien), jouant les James Bond à bord d’un hélicoptère, vantait les mérites de la Peter Jackson à bout filtre blanc dans son paquet noir. Cette publicité m’a tellement marqué que c’est probablement la raison pour laquelle ce fut une des premières cigarettes que j’ai fumée.
Notre logement était le logement montréalais typique avec un petit portique à l’entrée suivi d’un long corridor où trônait la fournaise à gaz ornée d’un tuyau bruyant, craquant mille sons étranges les soirs d’hiver. De chaque côté de ce même corridor, deux salons doubles et, au bout de celui-ci, à gauche, la salle de bain. Nous arrivions ensuite au salon, le centre nerveux de la maison. C’est là qu’étaient concentrées la plupart des activités familiales, en ce qui me concerne essentiellement l’arbre de Noël et la télévision. Ah, le doux souvenir de l’odeur des tartes au sucre et du sucre à la crème amoureusement concoctés par maman le samedi soir alors que les hommes prenaient une bière (plusieurs mettons…) en regardant les exploits de Maurice Richard à la Soirée du hockey… Ensuite à droite avec une porte directement en face du fauteuil de papa, la chambre de l’aîné. C’est bien sûr Lorraine qui en a d’abord hérité jusqu’à son mariage. C’était la seule chambre privée de la maison, les plus jeunes devant cohabiter dans des lits superposés dans un des salons doubles, l’autre étant occupé par mes parents. Alors imaginez mon impatience face à ce mariage dont les préparatifs me semblaient interminables. Enfin ma propre chambre ! Elle était un peu bruyante vu la proximité du salon mais bon, son caractère privé compensait largement cet inconvénient. De plus, elle était dotée d’une fenêtre qui donnait directement sur la cour et le balcon arrière. La cuisine communiquait bien sûr avec le salon par l’intérieur et était aussi dotée d’une porte qui donnait sur la galerie arrière et la ‘’shed‘’. Enfin, tout au bout du logement, un dernier corridor donnait accès à la dernière petite pièce, longtemps la chambre de Paul-Émile, et au hangar.
À l’extérieur â l’avant, la cour avant était clôturée, protégeant deux bandes de gazon séparées par un trottoir long de cinq ou six mètres qu’il fallait déglacer à la hache l’hiver ce qui représentait un sacré travail dont je m’acquittais en maugréant allègrement à chaque fois. Disons que je n’ai jamais été très porté sur les travaux manuels genre pelletage, tonte de gazon, etc. À l’arrière, l’autre cour donnant sur la ruelle était nettement plus intéressante.
D’abord une toute petite clôture en bois de trois pieds de haut représentait la ligne de démarcation entre nous et les Desjardins, qui habitaient juste à côté. Cela favorisait grandement les échanges entre voisins et il n’était pas rare de voir maman, debout près de ladite clôture, en grande conversation avec Mme Desjardins. Au-dessus de nos têtes vivaient les Charbonneau, dont le balcon donnait également sur notre cour. Nous entretenions avec eux des rapports privilégiés. La cour elle-même fut d’abord recouverte de terre où je traçais des routes à l’aide d’un bâton de ‘’popsicle‘‘ pour y faire circuler les modèles réduits de tous mes véhicules. Plus tard on y jouait à la guerre avec de petits soldats de plastique qu’on s’amusait à faire exploser avec des ‘’pétards à mèche’’. À un moment donné, ce devait être la mode à l’époque, elle fut recouverte de quelques ‘’voyages de gravelle‘’ ce qui mis fin abruptement à ces jeux, immédiatement remplacés par d’autres, mieux adaptés à ce nouvel environnement. C’est ainsi que je commençais tranquillement à vouloir découvrir le mystérieux monde extérieur et ses étonnants occupants.
Mon tout premier compagnon de jeu s’appelait justement Gaétan Lamy. Ensemble, nous explorions les alentours sans jamais traverser de rues ; à cet âge c’était défendu. Ce qui ne nous ennuyait pas trop étant donné l’abondance de nouveautés accessibles dans la ruelle et autour du bloc. C’est ainsi que nous avons très vite découvert ‘’Chez Donat‘’, juste au coin de la ruelle et de la rue Bernard. C’était littéralement LE magasin. On y vendait toutes les friandises imaginables en plus de la liqueur et de toute la panoplie d’articles meublant les tablettes des dépanneurs d’aujourd’hui. Curieusement on n’y vendait pas de bière et encore moins du vin. Cela semblait réservé aux seules véritables épiceries et supermarchés. Mais ce qui nous fascinait vraiment c’était cet immense meuble en bois vitré dans lequel s’étalait un assortiment gigantesque de ‘’ bonbons à la cenne » : feuilles vertes, boules noires et rouges, bananes, ‘’ paparmannes ‘’, réglisses, négresses noires, le choix nous semblait illimité. Le présentoir lui-même ainsi que le congélateur à ‘’popsicle‘’ occupaient à eux deux presque la moitié de l’espace du petit commerce. Il faut dire qu’à cette époque de la revanche des berceaux, les enfants représentaient de loin la clientèle la plus importante. Il y avait également un salon de barbier, vers l’arrière, où je me souviens encore avoir eu mes premières coupes de cheveux. Enfin, c’est beaucoup dire pour un style de coupe qui était littéralement ce qu’on appelait un ‘’rase-bol’’, mode qui est d’ailleurs revenue en force de nos jours.
M. Donat, puisque l’endroit portait son prénom et que je n’ai jamais su son nom de famille, était en général de commerce agréable. Il devait avoir une patience énorme pour supporter cette ribambelle d’enfants qui le tenait occupé pendant plus de douze heures par jour. Il supportait placidement nos longues hésitations devant le comptoir où, pour 5 ou 10 cents, nous prenions tout le temps du monde pour soupeser nos choix de bonbons ; et croyez-moi ça faisait beaucoup de bonbons. Quand nous étions un peu plus pressés ou juste plus aventureux on lui demandait alors 5 ou 10 cents de bonbons mélangés. Il se prêtait toujours de bonne grâce à l’exercice. Il acceptait même volontiers de casser nos ‘’Popsicles‘’ en deux lorsque nous le lui demandions. Il le faisait d’un geste habile directement sur la poignée du congélateur.
Il demeurait sur la même rue que nous, un peu plus au nord vers la rue Van Horne. Je crois qu’il vivait seul. Il a fini par vendre son commerce et même si le nouveau propriétaire y mettait plein de bonne volonté, ce ne fut plus jamais pareil. Malgré tout, le nom chez Donat resta affiché au-dessus de l’entrée, des années après la transaction. On n’efface pas les traditions aussi facilement… D’autres magasins tout aussi pittoresques les uns que les autres étaient aussi à notre portée dans ce quadrilatère. Bien que présentant beaucoup moins d’intérêt pour les jeunes enfants que nous étions, il m’arrivait d’y être dépêché par maman ou mon oncle Paul-Émile pour une commission. Je me souviens aussi d’avoir fait l’épicerie de la semaine à quelques reprises en compagnie de ma mère.
Références et sources
© SHP et Pierre Prévost, 2022.
Merci mon amour de raviver certains souvenirs de ton enfance montréalaise, que je peux aisément mettre en scène dans ton récit captivant. Ayant grandi jusqu’à l’âge adulte en banlieu de Québec, certains éléments diffèrent, les ruelles et les pièces double n’étant pas courants mais les bonbons à cenne et la joie de jouer dehors étaient quant à eux bien présents!
Un récit touchant, tout droit sorti d’un réel que j’ai bien connu.
L’anecdote est superbement écrite.
Un autre bon texte de notre ami Pierre Prevost concernant sa vie dans son quartier. C’est à lire
Merci Pierre d’avoir partagé ce texte, il reflète bien la vie des années 60…
Tu as une belle écriture, bravo!
Andrée
Pour les anciens du plateau comme moi c’est aussi la même chose et les lieux qui se ressemblent la vie en général pour ce qui est de la chanson du Maurier elle disait fumer du Maurier c’est si agréable les temps ont bien changé
WOW ! Que de souvenirs!!?Tellement bien ecrit
Merci Pierre pour ces souvenirs qui ressemble beaucoup aux souvenirs de plusieurs jeunes des quartiers environnant, dont le mien d’ailleurs. Les bonbons à 2 pour 1¢, les cornet tubulaire, les petits gâteaux Vachon, les retailles d’ostie et les mini sac de chips, on se régalaient à la moindre occasion. Merci encore pour ton partage.
Merci pour votre petite histoire. Rappel pour moi aussi de ces grands logements où il y avait plusieurs enfants. J’ai bénéficié de la chambre convoitée étant la seule fille et l’aînée. J’habitais par contre le deuxième étage d’un duplex rue St-Hubert. J’ai vu la cour de haut jusqu’à l’âge où j’ai eu le droit d’y descendre. Mes cousins habitaient le 1er étage, nous étions 10 enfants sur 2 étages. Jeux de ballon, baseball et cowboys me reviennent en tête, patin l’hiver. Beaux souvenirs moi aussi.
Bonjour,
Le nom de famille de Donat était Mazerolle et était marié avec avec une demoiselle Doré dont le frère André Doré je crois était distributeur d’huile à chauffage dans le quartier.
Exactement ce que tu as dit sur ce témoignage est très vrai.
Nous demeurions sur Waverly 5952 et ensuite sur Esplanade 5897,mais c’était la même ruelle alors pas beaucoup de changement dans le décor de la ruelle qui nous menait au coin Bernard chez Donat.
Encore une fois merci pour ces bons souvenirs.
au plaisir de te relire encore !
Merci beaucoup de votre commentaire. C’est très apprécié ! Je demeurais au 5856 Waverly ! Nous étions donc vraiment voisins !!!! Peut-être connaissiez-vous les Charbonneau qui demeuraient au dessus de chez nous (grosse famille, 12 enfants !!!!). Ou les Cyr un peu plus haut. Les Lamy, Galipeau ou Desjardins ? Ou encore les Trépanier (autre grosse famille), rue Esplanade justement.
La suite avec les commerces de la rue Bernard sera publiée bientôt ! Au plaisir !!!!
Beau texte qui relate de si beaux moments de jeunesse. Je suis sûr, que ça vient de brasser bien des souvenirs dans la tête de ceux qui ont passé leur jeunesse sur le Plateau dans les années 50-60. Pour ma part, au fur et à mesure de ma lecture, il y en a plein de souvenirs qui me sont revenus à ma plus grande joie! Merci d’avoir partager tout cela!
Que de souvenirs vous avez ravivés en moi ce matin! Merci pour ce bout d’enfance!
Merci mon frère pour ces beaux souvenirs. Dans ma chambre on entendait la pluie tomber sur le toit de la « shed » en tôle c’est encore un de des plus beau souvenir de ma jeunesse.. Comme j’adorais lire je me rappelle avoir passé des heures à lire la comtesse de Ségur. Tandis qu’au salon il fût le lieu où on a regardé comme tu dis si bien le Canadien, les Plouffe et la lutte le mercredi soir.
Merci d’avoir mis des mots sur cette époque de notre vie..?❤
À la lecture de votre commentaire, je retiens : …Dans ma chambre on entendait la pluie tomber sur le toit de la « shed » en tôle c’est encore un de des plus beau souvenir de ma jeunesse.
Je trouve simplement magique d’énoncer un tel souvenir. Cela montre bien qu’à l’époque de notre jeunesse, le bonheur se présentait souvent sous des « habits bien ordinaires ». De simples choses pouvaient nous mettre dans un état de « plénitude » et de tranquilité qui ne sembent plus possibles aujourd’hui. D’une certaine façon, c’est bien triste !
J’aurais pu écrire un même texte.
Très chaleureux témoignage.
Le corridor, le salon-double, la chambre convoitée, les «bonbons à la cenne», la proximité conviviale (de façon générale) avec les voisins immédiats, etc. J’ai passé des milliers d’heures à quatre pattes dans la cour en poussière de pierre, à moi aussi tracer des chemins pour mes «Dinky toys».
Je pense que les enfants devaient tous avoir un «modus vivendi» à peu près semblable.
Merci à Pierre Prévost pour ces témoignages si vivants et pour enrichir le contenu du blog de la SHP.